La terminologie de l’humain
Le projet anthropologique est d’étudier l’humain sous tous les angles possibles. L’humain se décline dans ses dimensions économique (capital humain), géographique (développement humain), génétique (l’espèce humaine), biologique (homme, hominisation), juridique (dignité humaine, droit de l’homme), philosophique (humanisme), ou religieuse (enracinement humain). Le projet d’humanisation de la société renvoie à un processus de constitution progressive de l’humain, un approfondissement qualitatif de sa condition. Le sujet est immense, nous retenons ici le seul angle qui se détache et se lie intimement au processus biologique.
Hominisation et humanisation
Morin (2001), nous rappelle que l’humanité émerge de trois trinités : la trinité individu-société-espèce, la trinité cerveau-culture-esprit et la trinité raison affectivité-pulsion. Pour lui ces trinités sont inséparables. La pensée de Morin nous fait accéder à la complexité de l’humain. Mais, il est aussi possible de simplifier et de voir comment deux processus fondateurs de l’humanité s’entrelacent : hominisation et humanisation (Delmas-marty, 2011). Le processus d’hominisation serait le processus d’évolution biologique de l’espèce humaine. Il plonge ses racines dans les formes de vie, vieilles de millions d’année. Il produit des corps, des cerveaux aux terminaisons nerveuses distincts d’humain à humain. Le processus d’humanisation serait un processus d’évolution sociale et culturelle des hominidés, ancré dans une chronologie de plusieurs milliers d’années (Coppens 2010). Ces deux processus interpellent la diversité humaine que cette dernière soit génétique, sociale ou culturelle. Ces deux processus combinent les tensions et possibilité créatives produites par la différence entre les hommes. Ils débouchent sur des visions normatives ou universalistes de l’homme. Les guerres civiles, économiques, de civilisation sont des formes violentes de régulation des différences. La construction d’un droit international partant de la déclaration universelle des droits de l’homme (1948), complété par la déclaration universelle de l’UNESCO (2002), affirmant le fait que chaque individu doit reconnaître non seulement l’altérité sous toutes ses formes, mais aussi la pluralité de son identité au sein de sociétés elles-mêmes plurielles. C’est ainsi que peut être préservée la diversité culturelle comme processus évolutif et capacité d’expression, de création et d’innovation. C’est une des façons de pallier les risques de déshumanisation avec le courant post-humaniste et la transformation de soi en objet améliorable. Ce qu’en matière managériale j’ai nommé ego-building (Cristol, 2010), faisant de soi un objet organisationnel, se perfectionnant soi-même pour satisfaire les conditions de production.
Eduquer ou enseigner l’humanité à l’humanité
L’humanisation en tant que projet de société tend vers la recherche de relation de qualité entre les hommes. C’est une façon de reconnaître et d’affirmer une altérité. Ce projet d’humanisation se situe en opposition au projet de société basé sur les seules quantités et leurs mesures. Pendant que le projet d’humanisation se donne pour ambition de civiliser le monde, d’adoucir la nature, les situations de travail (Bidet, 2011), les conditions d’hospitalisation (Bariéty et Coury, 1963) ou de détention, le projet de managérialisation est un projet de contrôle, d’accumulation, de conquête de temps, de territoire, d’efficacité et de performance. Le projet d’humanisation se préoccupe de l’amélioration de l’être pendant que celui de managérialisation gère l’optimisation de l’avoir. L’un engage des relations apaisées au monde, l’autre se soucie des gains. En reprenant l’analyse de Freire (1974), le premier offre l’espérance d’une libération, le second crée le risque d’une aliénation.
Plusieurs auteurs réfléchissent aux questions d’éducation sous l’angle de l’humanisation. Plusieurs sens sont envisageables. Il s’agirait ainsi :
- de favoriser la conscientisation et l’engagement dans l’action sociale (Paolo Freire, 1974)
- d’enseigner l’humain à l’humain (Edgard Morin, 2001)
- de développer des programmes d’humanisation (Gaston Marcotte, 2009)
L’être humain est par définition un être de constante réévaluation, sa condition humaine qui le fait naître, vivre et mourir le conduit à prendre position sur son existence. Mais là encore, soit il perçoit son passage et réfléchit au sens qu’il revêt (Giddens 1987, 1994), soit il s’abandonne tout sens et se contente de jouir matériellement d’un monde.
Tout projet éducatif se détermine par rapport au choix de société qui consiste à privilégier l’être ou l’avoir. Tout responsable éducatif est situé face au choix de s’inscrire dans une réflexion éthique ou bien de s’en départir. Ce faisant il se prononce pour tel projet de société qui reproduit l’existant ou au contraire, ouvre la perspective à plus de liens entre les hommes.
Bibliographie
BARIETY, M. COURY, C. (1963), L'accroissement du confort et l'humanisation des conditions de séjour. Histoire médicale. Paris : Fayard.
BIDET, A. (2011), L’engagement dans le travail. Qu’est-ce que le vrai boulot ? Paris : Presses universitaires de France.
COPPENS, Y. (2010), L'histoire de l'Homme. Paris : Odile Jacob.
DELMAS-MARTY, M. (2011), Hominisation, humanisation : le rôle du droit. Colloque organisé les 28 et 29 avril 2011. Enregistrements audio : www.college-de-france.fr
CRISTOL, D. (2010), La fabrique des managers : identités et rapport aux savoirs. Paris : L’Harmattan.
FREIRE, P. (1974). Pédagogie des opprimés. Paris : Maspéro.
MARCOTTE, G. (2009), Le droit de l’enfant à une éducation humanisante. Québec : éditions humanisante.
GIDDENS, A. (1987), La constitution de la société, Paris : Presses Universitaires de France.
GIDDENS, A. (1994), Les conséquences de la modernité, Paris : L’harmattan.
MORIN, E. (2001), La méthode. 5. L’humanité de l’humanité. L’identité humaine. Paris : Seuil.
La Déclaration « universelle» des droits de l’homme (1948)
La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2002)