L'éducation et la formation actuelle des dirigeants conduit à leur « intelligence aveugle », c’est-à-dire à l’ascendant de la boucle de reproduction de la pensée conforme, sur celle de l’innovation et de la pensée globale, transverse et systémique.
En résumé et de façon un peu caricaturale la problématique que je pose se situe à 4 niveaux :
- Difficultés épistémiques : la façon de penser le monde
L’enseignement est basé sur des prémisses dépassées : la séparation du monde par des disciplines (héritage de Descartes) et de son enseignement cloisonné (héritage de Humbold le fondateur des universités modernes). Ces deux principes sont allés trop loin et conduisent à l’apparition d’angles morts. Les sciences du chiffre en particulier de gestion sont sur-utilisées dans l’enseignement et produisent une visée réductrice de la mesure, une vision réduite de l’homme en tant que « capital humain » et des objets en tant que « ressources ».
- Difficultés macro : la société
Les organisations humaines se sont engouffrées dans le tropisme gestionnaire exclusif (multitude de travaux de sociologues sur la question par exemple de Gaulejac « la société malade de la gestion »). Dans l’apparition des dirigeants, il y a collusion entre les familles, les professeurs, les dirigeants (en particulier éducatif). Il y a un enseignement de recettes et un abandon de la pensée critique et par soi-même. Notre système de tri sélectif des cerveaux développe une compétition acharnée entre les meilleurs et les plus fragiles (cf test PISA). Cette lutte invisible crée des dégâts et affaiblit la capacité d’influence des dirigeants dont la base sociale se réduit. Ils perdent de la légitimité pour influencer et se trouvent réduit à commander. Il faudrait enseigner et faire vivre le leadership.
- Difficultés méso : l’organisation
Alors que les rapports au corps, à l’espace, au travail, à l’autre, au temps, à la technologie sont bouleversés, les mêmes principes et paradigmes éducatifs de reproduction des savoirs passés et construits par des experts prévalent et se renforcent. Il y a des modifications fondamentales de penser le monde entre ceux qui sont ancrés sur les territoires et ce qui bénéficient de perspectives d’évolution et de carrière protégées ou internationales. Il en résulte des logiques de prenant-prenant qui remplacent les logiques de donnant-donnant. Les écarts de rapport sont tels que les relations descendantes sont honnies, et que les conditions de la confiance et de la coopération sont réduites à néant. Les tentatives de « management participatif » ou transversal sont alors vu avec méfiance. Les appels au « management par le sens » restent lettre morte.
- Difficultés micro : l’individu
Ce qui se met en place avec l’individualisme actuel c’est une logique de l’ego-compétitif, un positionnement individualiste, une chute des croyances dans l’institué, un chacun pour soi qui progresse et un délitement des liens sociaux (en tout cas les liens sociaux traditionnels).
Pour développer des solutions, il y a donc à transformer des façons de penser le monde (il faut favoriser et soutenir les sciences de l’assemblage), de valoriser les liens sociaux (il faut lutter pour la justice sociale par exemple faire sortir les grandes écoles du pré carré des fils et filles de cadres supérieur et les ouvrir plus largement à des gens et donc à des idées nouvelles), promouvoir les compétences et les engagements associatifs ou professionnels et non les places acquises (modification des types de recrutement des écoles à partir de réalisations concrètes), encourager la pensée créative, critique et individuelle. Ces éléments ressortent pour partie de solutions éducatives, dont nous trouverons des idées de réalisation dans des pédagogues de l’expérience et de la démocratie comme Dewey (son ouvrage de 1916 dépeint la société américaine proche de ce que je viens de décrire). Il s’agit de proposer une « éducation managériale » et pas seulement un transfert de contenu thématique et d’outils tout prêts. Il nous faut encourager les formes d’engagements sociétaux, entrepreneuriaux, humains dans les formations qu’on promeut et aider à l’apparition de formes de leadership qui s’expriment au bénéfice de la collectivité et non pas au seul bénéfice personnel. Il est devenu indispensable de diversifier les pratiques pédagogiques, non pas parce que ça fait bien ou que c’est à la mode, mais parce que ce qui compte c’est un rééquilibrage entre les contenus d’apprentissage et les processus dans lesquels les individus doivent être beaucoup plus acteur. Les processus pédagogiques à privilégier doivent faciliter la coopération (travail en groupe, apprentissage du travail par consensus, expérience de l’unanimité dans un projet), se tourner vers les autres et des projets concrets (on n’apprend que lorsqu’on a des problèmes concrets à résoudre), privilégier l’action qui renforce en retour l’action et le plaisir d’agir et dote l’individu de ressources pour apprendre à apprendre toute sa vie.
En conclusion il est inutile de créer un module sur les valeurs, le développement durable ou tel thème social, il s’agit de toucher les gestes de l’enseigner et de l’apprendre dès la matrice initiale, car les individus reproduisent la façon dont ils ont été socialisés (Cf. Durkheim). C'est en agissant en se déplaçant en faisant que la réalité s'éclaire.
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http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/83/44/38/PDF/THESE_DENIS_CRISTOL_VERSION_FINALE_avril_2010.pdf