Des écarts entre l’enseignement et la réalité
La formation au management produit des écarts entre ce qui est prescrit par les enseignants et la réalité des situations professionnelles. La réalité du travail est absente dans la façon de poser des problèmes. Ces derniers sont théoriques obéissent à des modèles quantitatifs, et engagent peu le corps, les émotions, les contraintes, la recherche de ressources, les angles morts, le génie créatif. La dimension cognitive est privilégiée à celle de l’action. Par ailleurs, il faut noter qu’il existe un décalage entre le moment où l’apprentissage des pratiques managériales a lieu et leur mise en œuvre. Entre 2 à 10 années s’écoulent entre l’enseignement et le moment de le mettre en œuvre. Il y a donc une déformation entre le milieu protégé de l’école et un monde décrit comme lisse.
La faiblesse de la prise de risque
Ce qui importe avant tout est d’intégrer l’école puis d’obtenir le diplôme qui garantira la carrière. Une fois intégré l’effort des étudiants se relâche. La prime à la prise de risque est faible. Les grandes écoles attirent plus pour la formation de financiers et de spécialistes du marketing que pour celle des commerciaux, de créateurs d’entreprise, ou d’innovateurs. Il est possible de repérer des carrières types qui s’imposent dans les esprits (cabinet de conseil, agence de communication, service financier, passage par un cabinet politique). Ce désir d'apprentissage des plus hautes fonctions en fait oublier l’apprentissage d’un métier, le développement d’un intérêt, l’engagement dans sa passion. Tout est subordonné à la réussite dans un classement.
La construction de représentations biaisées
La majorité des professeurs connait peu le monde de l’entreprise, ils enseignent leurs croyances académiques et transmettent le fuit de leurs recherches. Mais, l’hyper spécialisation des enseignants produit un morcellement du savoir. Par le jeu des mécanismes de régulation de la recherche, les disciplines communiquent mal entre elles. Cet enseignement délié des disciplines crée une intelligence aigüe d’un problème spécifique mais obère la complexité des contextes et leurs imbrications avec des enjeux sociaux, politiques, technologiques et humains. Il forme à une intelligence aveugle. Par ailleurs, l’enseignement du management se produit le plus souvent par acculturation des usages de la grande entreprise par une pédagogie de cas froids évoquant le passé, véhiculant des idées conçues par d’autres, dans des contextes éloignés.
La production d’egos compétitif
La compétition pour le recrutement entre écoles conduit à l’adoption de déclarations de leur part flattant l’égo des individus. Par la suite, l’égo des futurs managers est encore flatté par le traitement de business case « mettez-vous dans la peau d’un dirigeant de grand groupe et bâtissez la politique de réorganisation des divisions » leur demande-t-on, ou encore par la rencontre avec des témoins ou parrains prestigieux de l’école. Ils sont enfin invités à faire de l'ego-building pour "développer leur charisme", "exercer leur éloquence" ou "découvrir leur potentiel de leader". Il existe un écart entre le discours sur le travail collectif prôné sur les brochures et les sites internet des principales écoles et le recrutement sur concours individuel. Les apports théoriques sur l’intelligence collective, l’organisation apprenante, la coopération se trouvent irrémédiablement en décalage avec l’expérience personnelle de réussite à un concours, et l’expérience d’un classement personnel. La vie professionnelle gardera des traces de cette socialisation. Il ne faut pas chercher plus loin le renaclement systématique à développer les compétences de leurs collaborateurs en situation de travail, de managers que l’on aimerait formateurs mais qui continuent à développer leur expertise pour leur seul bénéfice.
L’apprentissage du conformisme
L’enseignement du management est le plus souvent une exposition à des processus pédagogiques standardisés et des méthodes magistrales d’enseignement, reproduisant les hiérarchies sociales. Cette standardisation prend ses références dans les normes d’excellence de l’AACSB, d’EQUIS, qui, si elles facilitent les échanges internationaux sous la forme de semestres d’études comparables, induisent également les mêmes choix de matières, le même profil de professeurs (chercheurs publiant dans des revues prestigieuses, plutôt que praticiens), les orientations similaires de recherche. Ces mêmes cursus de gestion qui se veulent pragmatiques accordent peu d’ouverture aux humanités (philosophie, sociologie, psychologie), à l’hybridation, à la pensée critique par soi-même. Par sélection sociale des étudiants, le milieu constitué offre une faible diversité de point de vue et de perspectives différentes. La reproduction des mêmes façons de penser opère. Les représentations pour des carrières types sont renforcées.
L’enseignement de l’amoralité
Les grandes écoles enseignant le management sont orientées vers un apprentissage des techniques de gestion. Mis à part une conférence de culture générale par ci par là, elles interrogent peu la finalité du monde économique qu’elles servent. La rétroaction des décisions de gestion sur l’environnement, la courbe du chômage, les problèmes de santé publique est évacuée. Des cours d’éthique parsèment bien les cursus mais les écoles offrent peu de pratique observable, or l’éthique s’enseigne moins qu’elle ne se vit. Bien au contraire, si les écoles se vantent régulièrement de la réussite de leurs diplômés, combien sont celles qui dénoncent ceux de ses anciens étudiants qui ont fraudé, triché ou sont à l’origine de scandale ? Elles passent sous silence cette part d’ombre.
L’inhumanité en question ressort moins des contenus enseignés que des formes d’organisation dépendantes de modèles économiques et de la compétition qui fait actuellement rage sur le marché éducatif. Par contrecoup cette déshumanisation vient abonder les entreprises de comportements managériaux inadaptés dont on aimerait se passer.