La formation professionnelle peut être envisagée de deux façons.
La première façon considère que l’autre est un handicapé de la connaissance, que quelque chose lui fait défaut et qu’il va lui falloir combler un manque. Dans cette perspective le manque à combler est variable. Selon les dispositifs cela peut être un manque de motivation, un manque de savoir-être, un manque de vocabulaire ou de contenus sur un sujet, un manque de qualification. La formation jouerait alors un rôle réparateur, les formateurs seraient à l’égal des infirmiers ou médecins chargés de dispenser la bonne prescription, d’administrer et de surveiller la mise en œuvre de la solution. Ils se désespéreraient parfois du malade refusant de prendre son traitement. « Comment voulez-vous qu’il apprenne, s’il ne suit pas l’ordonnance de stages, de e-learning, d’ouvrages à lire ! ». La dérive la plus pathétique survient parfois dans les situations de la VAE, où il s’agirait de combler les manques d’une vie d’expérience pour coller au référentiel socialement normés auxquels s’affrontent les candidats. « Monsieur le candidat vous ne pourrez-vous prévaloir du diplôme qu’à la condition de suivre les stages complémentaires identifiés par nous le jury ». La prescription laissant croire que le stage équivaut à compétences et mise en œuvre sociale. Permettez-moi d’en douter. A lire les toujours bien vivants catalogues de formation et leurs solutions toutes prêtes, cette vision faisant de l’autre un handicapé et du formateur un soignant semble encore bien courante.
La deuxième façon considère que l’autre établi un rapport au monde spécifique. Le rôle du formateur est alors d’aider, à la demande, de transformer ce rapport au monde, tout en laissant la responsabilité de la direction des apprentissages à l’autre considéré comme un partenaire et non comme un patient. Ce rapport au monde se décline de multiple façon. Cela peut être un rapport à soi et plus particulièrement de la confiance en soi et en ses capacités d’apprendre. Cela peut être pour toutes les dimensions comportementales le rapport aux autres, aux collaborateurs, aux clients ou aux usagers. Cela peut être un rapport aux savoirs. Le formateur ne soigne ici personne, se centre moins sur des apports que sur des rapports. Toute son action est ici d’aider à instaurer des rapports profitables à l’apprentissage et de créer les interactions les plus fertiles pour créer l’opportunité que le rapport au monde se transforme.
Dans la première façon de comprendre la formation, il s’agit « d’apprendre que » dans la deuxième façon « d’apprendre avec ». C’est une différence importante car dans le premier cas le formateur se soucie de normes, de contenus préétablis, des finalités éducatives d’un système ou d’un organisateur de formation alors que dans le second, il se préoccupe du rapport au monde en train de se nouer, de la façon dont chacun peut établir des liens qui comptent pour lui. Quand les liens sont noués alors il est en mesure de faire effort pour apprendre. La deuxième façon d’appréhender la formation porte en son sein une ambition d’émancipation qui dit moins le monde comme il devrait être en théorie mais comment chacun le construit dans sa situation. Partant de cette distinction, la deuxième façon d’envisager la formation n’exclue pas les apports, mais ceux-ci ont un sens et une trajectoire différente car ils procèdent d’une mise en lien préalable.