Apprendre et enseigner n'ont jamais été aussi proche qu'aujourd'hui. Chaque professeur sait qu'en enseignant il apprend. Préparer son cours, le mettre en forme, repérer les difficultés, organiser une progression trouver des exemples et pour cela faire des recherches, imaginer des moyens d'évaluer, n'est ce pas ce que l'on trouve au cœur du métier d'apprenant? Assurément ça l'est. Cette gymnastique intellectuelle est rendue plus facile avec le pouvoir du numérique qui rend plus accessibles ces tâches et soulage des moments fastidieux.
Si préparer un cours nous enseigne, le partager est aussi un vecteur d'apprentissage. Prendre la parole devant un groupe ou une assemblée, poser sa voix, questionner et écouter les bruissements d'une salle forment des apprentissages sociaux forts utiles dans notre société pétrie de communication.
Nous pouvons prendre en considération ces constats et renverser les usages. Il faut le faire parce que c'est devenu simple avec les ressources numériques mais aussi parce que nous n'avons pas le choix de faire autrement. En effet, le temps de mise en forme des savoirs est long par rapport au temps des usages qui est devenu aussi immédiat qu'une connexion.
Le temps des savoirs stables et cumulatifs est passé. Le savoir s'enrichit, se maille avec d'autres savoirs, se complexifie, déborde des têtes biens remplies qui ne parviennent plus à le contenir. IL faut désormais s'enseigner à soi-même et apprendre pour les autres.
S'enseigner à soi-même certes, mais pourquoi pour les autres?
Il faut le faire pour les autres car le savoir qui était un classement individuel, devient collectif. Le savoir est un lien, une façon d'habiter le monde et pas seulement un outil pour agir sur le monde. Par sa nature fluide, échangeable, labile, le savoir est devenu un liant social. Apprendre seul pour soi à l'heure où des zeta-octets défilent sur la toile nous fait courir le risque d'être expert sur un registre que personne n'entend. C'est le cas d'une multiplicité de chercheurs qui se sont enfermés dans des savoirs compris d'eux seuls et dont les articles de recherche ne sont lus que par quelques dizaines de personnes. Ils sont coupés des autres reclus dans leur micro-discipline.
Cette nouvelle équation nous oblige de nous intéresser aux autres et aux usages du savoir et pas seulement à ses effets de classement social. Apprendre pour les autres c'est éviter de se recroqueviller dans des certitudes puis de convaincre les autres de leur justesse. Apprendre pour les autres, c'est finaliser ce que nous entreprenons d'apprendre au service de la société qui nous abrite.
Apprendre et enseigner sont devenus synonymes, n'en déplaisent aux professionnels des contenus. La maîtrise des contenus demeure essentielle, mais elle est insuffisante pour s'adapter, car une donnée chasse l'autre, un savoir n'est pas plus tôt établi qu'un autre le concurrence. Les contextes d'usage obligent aux professeurs de repenser leurs rôles, de le déporter un peu plus vers les moyens de développer plus d'autonomie face au savoir. Pour aider chacun à passer d'un monde où l'on distribue des savoirs à un monde où on les construit collectivement, ils sont invités à :
- créer des cartes conceptuelles pour aider au repérage dans un océan de données
- aider à créer les conditions de la motivation et pour cela s'investir dans la relation à l'autre
- faciliter l'acquisition des ressources cognitives pour apprendre
- soutenir les projets
- orienter vers des ressources fiables
- indiquer comment ils enseignent
- faire varier leur guidance en fonction des publics auxquels ils s'adressent
- endosser le rôle de facilitateur et pas seulement de donneur de leçon
- prendre en considération les contextes pour adapter leur programme
- promouvoir l'apprentissage collaboratif
Cette perspective nous fait passer d'un monde individualiste où "l'apprenant acteur de sa formation" est au cœur du discours à un autre où "le savoir collaboratif" constitue le ciment des communautés humaines.
Ouvrage qui développe ces idées : "Former se former et apprendre à l'ère du numérique"