L’ouvrage est rédigé par un sociologue, chercheur associé à l’IAE de Paris, par ailleurs directeur d’un cabinet de conseil. Il traite du thème du malaise des cadres, sujet qui a au moins déjà 20 ans d’histoire et d’analyse et dont la première expression remonterait selon l’auteur à 1947. Le malaise étant soit du retrait (défensif ou offensif), du passage à la contestation, des stratégies de désinvestissement ou de création de zones de confort, dans tous les cas une situation de désenchantement. L’un des premiers points à faire émerger c’est que l’auteur reprend à son compte une construction sociale qu’il est bien en peine, comme ses devanciers, à définir puisqu’il n’y a que peu en commun entre le cadre dirigeant, cadre supérieur, chef de projet, commercial, expert et le premier niveau d’encadrement. L’ouvrage souffre donc d’un biais historique, celui d’évoquer un agglomérat qui plus est de composition diversifiée en fonction des périodes historiques. Pour approcher cette multitude de situation, l’auteur choisit de mener l’enquête par le moyen de 200 entretiens recueillis dans une diversité de situation (formation continue, rencontres inopinées, autres missions de terrain). Dans le premier chapitre, plusieurs enseignements se dégagent de l’enquête tout d’abord l’effritement de l’identité professionnelle lié au fait d’être ou ne pas être cadre. Le sentiment de participer d’une élite déchue se fait sentir, à tel point que le passage cadre est désormais refusé. Le malaise proviendrait de multiples sources telles que la nostalgie de l’autorité, l’exécution du « sale boulot » (à force de chercher la performance exclusive), le règne des procédures, les réorganisations décidées en chambre, l’achat de la paix sociale « sur le dos du management », la coupure avec la direction générale, la déconnexion avec les décisions « venues d’en haut », un éloignement de la stratégie, la fatigue opérationnelle à force de changement, le manque de confiance réciproque, la solitude du manager, le manque de solidarité entre pairs, le soutien limité de la part de la hiérarchie, un équilibre de vie professionnelle/vie personnelle difficile, une intensification du travail, un effet de dépendance aux TIC, une pression sociale, une pression de l’ambition, des effets de mutations des familles, la fausse autonomie des cadres, l’absence de management des cadres, un pseudo-travail intellectuel, le faux avancement au mérite, la persistance du plafond de verre, une confiance en l’avenir réduite, le sentiment d’insécurité sociale en particulier pour les seniors, le malaise des classes moyennes, le sentiment de déclassement salarial. La liste proposée par l’auteur est étayée de nombreux exemples de situations réelles. Le deuxième chapitre creuse les conséquences du malaise, à commencer par le déni de reconnaissance et le manque de justice. La projection dans la carrière est différemment vécue selon les individus. Pour l’auteur l’expression malaise aurait plusieurs significations. Tout d’abord il se pourrait que son emploi soit abusif, une façon de relativiser son inconfort individuel dans un cadre collectif plus rassurant. L’auteur distingue trois types de malaises : le malaise identitaire, le sentiment d’iniquité (baisse de reconnaissance) et mal être (sens diffus du travail). Les chapitres 3 4 et 5 évoquent les réactions au malaise en déclinant le « exit » (défection, sortie), « voice » (protestation), « loyalty » (attachement) du sociologue Albert Hirschman datant de 1970. Ce que nous apprend l’auteur c’est que contrairement aux croyances, les cadres seraient sensiblement plus syndiqués que la moyenne 15% (7,5% dans le privé pour 25% dans le public), pour un taux de 7%. Par ailleurs alors que les cadres des années 70 étaient à 75% pour placer la vie professionnelle au-dessus de tout, ils ne sont plus que 37% à avoir cette position actuellement. La variété des comportements humains est détaillée, toutes les formes d’équilibres en demi-teinte, raisonnées, paradoxales, ambiguës, indifférentes, calculatrices, en opposition sourde, sont dépeintes. Le silence s’avère bien souvent stratégique selon le dicton « pour vivre heureux, vivons cachés ». La mobilité si elle est souvent évoquée par les cadres est moins souvent mise en œuvre. Dans le chapitre 6, l’auteur évoque les limites des mécanismes de défense que mettent en œuvre les cadres pour faire face au « malaise ». Les thèmes du stress, de la fatigue, du rythme intensif, des signaux d’alerte sont développés de même que celui des conséquences familiales, du dopage, des addictions, du burn-out et de toutes sortes de maladies invisibles. A cet égard les cadres deviendraient des salariés comme les autres avec un absentéisme pour maladie en hausse. Le chapitre 7 pose la question de la disparition des cadres, mais y répond assez vite en indiquant notamment tout le rôle des managers de proximité. L’ouvrage pointe à ce moment les limites du darwinisme social, qui voit les cadres s’éliminer d’eux-mêmes au fur et à mesure d’une compétition sans fin. Il s’agirait alors d’accorder plus d’attention aux cadres, de les écouter, de leur redonner du pouvoir d’agir, de leur faciliter la vie. Un autre chantier à ouvrir serait celui du management. Celui-ci serait moins à considérer comme récompense, car tous n’ont pas la même appétence pour manager et n’y sont pas également habiles et parfois même dans un grand nombre de cas n’y ont pas été formé. Dès lors, la formation, l’accompagnement, la co-gestion des évolutions, l’évaluation et la sanction des cadres restent largement à professionnaliser. En conclusion, l’auteur prédit moins une révolte des cadres séquestrant leurs dirigeants qu’une poursuite de la désimplication au travail devenant moins affective. Il s’agirait pour les dirigeants de revaloriser leurs cadres en se souvenant du dicton anglo-saxon « If you pay peanuts, you get monkeys », le paiement n’étant pas exclusivement monétaire mais plus de participation dans des décisions et des actions qui concernent les cadres. L’ouvrage a le mérite d’être bien écrit, bourré d’exemples de terrain, mais il est possible d’y apporter plusieurs réserves. D’une part les faits sont connus, d’autre part, il n’y a pas de nouvelles solutions proposées. Par conséquent, s’il rebalaye les sources et les étayent à nouveau, ce qui est déjà un bénéfice il apporte peu à une littérature abondante sur le sujet d’ailleurs bien référencée au cours du texte.
Le silence des cadres | Vuibert.fr
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