Le numérique bouleverse aussi fortement les métiers de la formation qu’il a impacté en son temps ceux des industries culturelles, de la musique et aujourd’hui de l’édition. Il est possible d’imaginer le même type de transformation qui a laminé des secteurs d’activité, ayant basés leurs valeurs ajoutées sur le contrôle de contenus et l’intermédiation avec un public potentiel, la capacité de communication de masse et la mise en visibilité de programmes.
Les métiers de la formation professionnelle pour adultes n’échappent pas à la mutation quel que soit la puissance de l’institution qui l’organise ou le contrôle. Les récentes difficultés du CNED ou de l’AFPA nous le rappellent.
Voici des motifs repérables qui expliquent le mouvement de métamorphose :
L’accès aux données est facilité. Les moyens de se connecter se sont démultipliés. Ordinateurs, téléphones et tablettes constituent désormais un univers d’écrans sur lesquels des Zeta octets défilent sous forme multimédia : texte, image, son. Qui plus est l’homme des années 90 cloué derrière son bureau face à son gros et couteux ordinateur est devenu mobile. Il dispose à portée de main, d’une caméra haute définition, d’un magnétophone, de bases de données multiples, de traducteur en ligne, d’outils de traitement et de diffusion d’informations et de tutoriels pour apprendre à utiliser tout cela. Sans attendre un stage, il possède des ressources techniques, sociales et des aides cognitives colossales qui l’aident à résoudre ses problèmes dans l’action. Que pèsent la voix et le « Power Point » du formateur face à un tel arsenal mobilisable à l’envie? La lutte pour l’attention est engagée. Le « temps de cerveau disponible » est devenu une réalité. L’hyper connexion et le zapping sont des traits du nouvel apprenant. Les professionnels de la formation sont conduits pour subsister à investir l’aide à l’orientation et à la canalisation des énergies dans le magma informatif. Ils devront être capables de proposer des cartographies conceptuelles pour aider au repérage dans le web.
Le rapport au savoir est rendu autonome. Les murs n’arrêtent pas les ondes. Le wifi se développe dans les espaces privés et publics. L’accès aux données est facilité partout. Les anciens administrateurs de Learning Management System ne savent et ne peuvent pas restreindre les informations captées à la volée avec un portable, des informations officielles stockées et dument calibrées pour les cursus certifiés. Le rapport au savoir s’est libéré. Chacun a le loisir de contre dire l’autorité pédagogique et de mener ses propres recherches. Il occupe une place plus grande dans l’acte d’apprendre et ce faisant écoute à peine celui qui ne serait qu’un répétiteur d’informations déjà connues. Il se réapproprie la direction de ses apprentissages. Les professionnels de la formation peuvent jouer un rôle dans la construction des motivations.
La présentation des contenus est attractive. L’accès massif à des ressources de qualité (texte, vidéo, audio) met en concurrence toutes les sources d’information. Le formateur fait face à Google+Wikipédia. Un moteur de recherche capable d’établir des liens et d’opérer des tris signifiants et une encyclopédie évolutive et collaborative régulièrement mise à jour. Sur le terrain de la recherche et de la présentation des contenus, il aura du mal à rivaliser. Exit les supports de mauvaises qualité et le faible travail de mise en valeur de contenu. Ils doivent enrichir leur contenu. Les professionnels de la formation peuvent ici se positionner en facilitateurs et aider la création d’écosystème d’apprentissage favorisant l’exploitation de ces ressources. Ils sont aussi appelés à valoriser des contenus moins facilement stockable : ceux issus de l’expérience humaine, du récit, du dialogue entre pairs « ici et maintenant ». Les métiers de la formation de demain exploiteront la force narrative de l’expérience, le co-développement entre pairs, toutes les ressources corporelles et émotionnelles qui ne se laissent pas facilement saisir dans une base de données.
Le numérique exploite la force des réseaux. Plus que l’accès à des données, c’est l’accès à des personnes éloignées physiquement ou socialement qui est facilité. C’est la possibilité d’inventer de nouvelles relations et de faire du réseau son professeur, le premier auditeur critique de ses idées. Les contacts en ligne autorisent de nouvelles frictions, des créations de groupe et d’espace singulier, la rencontre d’offres et de demandes rares. Les réseaux font évoluer les métiers de la formation de la dynamique de groupe aux communautés d’apprentissage. Les nouveaux professionnels de la formation seront des community managers, des animateurs de blogs influents, des personnes ressources facilitant l’émergence de communauté d’intérêt. Ils devront maîtriser toute la chaine informatique qui produit ces interactions.
La gratuité des informations ouvre à l’envie d’apprendre. L’open education est la perspective d’une gratuité des cours, même issus des écoles les plus prestigieuses. Le mouvement des MOOC est connu et poursuit son développement. Cette gratuité à plusieurs effets dont celui de faire grandir chez chacun le sentiment qu’il possible d’apprendre. La gratuité stimule la liberté et l’envie d’en user, comme lorsque l’on prend une bonne bouffée d’air bien frais. Les professionnels de la formation devront apprendre à mettre à disposition des contenus et trouver de nouvelles sources de valeurs que chacun aura envie de payer. Dans le même temps ils apprendront à donner à la communauté et à faire œuvre de marketing sur des services à haute valeur ajoutée, expertise très pointues, contenus couteux à élaborer, conseils personnalisés, accès à des écosystèmes et des réseaux d’expertise.
Les métiers de la formation sont touchés sur toute la chaîne de production, de la conception à la mise en œuvre de la formation. Face à cet homme connecté n’importe où qui peut apprendre dans son pyjama, accéder à des données coincé dans les transports, les professionnels de la formation doivent appréhender un savoir en miette et trouver des réponses à la question « Pourquoi se rassembler pour apprendre puisque tout est disponible ? », « Que vaut-il la peine d’être appris, quand je peux externaliser ma mémoire dans ma clé USB? » « Comment apprendre dans ce nouvel environnement éclaté ? ». Pour cela ils doivent repenser l’ingénierie de formation. Ils feront appel à des designers, des graphistes des ergonomes, des artistes, les apprenants eux-mêmes pour repenser les formes de l’apprendre. Ils introduiront, dans le dialogue hérité des pratiques industrielles, entre maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre, une maitrise d’usage prenant véritablement en compte la parole d’usager, pour revoir comment chacun apprend, comment les environnements d’apprentissage, les temps de rencontre, les espaces de regroupement sont à repenser. Au-delà de la seule dimension technique, la conception de ces nouveaux écosystèmes d’apprentissage intégrera les préoccupations environnementales, sociales et démocratiques. Il est possible d’imaginer de ce renouveau des métiers de la formation des dispositifs de formation dans lesquels on se glisse avec aisance et qui donne cette sensation de continuité et de stimulation cognitive continue qu’offre actuellement nos téléphones-doudous.