Ceux qui en France focalisent leur attention sur "la gestion de la formation", le scandale des budgets formation mal gérés, la dérive du financement des partenaires sociaux via les fonds de la formation, etc. feraient mieux de chausser de nouvelles lunettes et d'observer qu'il se produit actuellement des transformations majeures en dehors des circuits institutionnels qui engloutissent de l'énergie inutilement dans de la paperasse (au passage on attend toujours le choc de simplification administrative).
Dans ce que j'entends la logique de gestion perd de sa superbe face à une logique d'apprenance. Au moment même ou en France on déclare que l'on va former "500 000 chômeurs" (en oubliant 1) que l'on ne forme pas les gens mais que c'est eux qui apprennent volontairement s'ils en ont la motivation et que 2) la formation n'est pas une action magique qui donne directement un emploi), et bien à ce moment précis, il y a une démultiplication d'initiatives souterraines portées par de micro-collectifs, des individus isolés sur internet, des espaces alternatifs où il s'agit d'apprendre et de faire société et pas seulement d'être adaptés aux nouvelles conditions d'emplois.
La vision industrielle de la "formation adaptation à l'emploi" qui date du XIXeme siècle, formation, qui fait partie du temps de travail, qui est une lutte sociale, qui permet l'ascension sociale, n'existe plus guère que dans la tête d'une poignée de dirigeants restant sur les rails du passé. La réalité est bien plus contrastée et bigarrée que ce tableau monolithique. Les règles ont changé, mais ces dirigeants continuent à jouer le même jeu à contrôler ce qui est bon pour les autres, à établir des compteurs, des listes, des commissions, des formations qui valent et d'autres qui doivent être bannies (avec les formateurs qui les portent). On ne sort toujours pas du paradigme "je commande et je contrôle".
Pourtant, les apprentissages se font informels, s'imbriquent au travail, utilisent internet (moteur de recherche, tutoriel youtube, encyclopédie wikipédia, forum). Le temps est à la construction de ses propres espaces d'apprentissage, à la création de réseaux de proximité dans des associations ou groupes dont on se sent proche. Voyez les étudiants si on leur propose des plateformes d'apprentissage en ligne, ils les fuient pour créer leurs propres espaces et bâtir leurs propres repères. Il y a un besoin de liberté pour apprendre qui est peu soutenu.
L'urgence est moins de promouvoir des formations labellisées a priori, sur des listes d'institutions connues de longue date, mais de promouvoir l'esprit et l'envie d'apprendre, très lié à un esprit d'entreprendre. Dans cette idée les nouveaux espaces (fab lab, nouvelles médiathéques centrées sur les usages, living-lab, espace de co-working etc.) participeront plus surement à l'apprenance et à la régénération de l'envie de s'engager que la distribution d'argent à des organismes de formation qui n'ont pas fait preuve de leur efficacité pour lutter contre le chômage dans les 30 dernières années. Au passage est ce raisonnable de demander à la formation de rendre des comptes sur la résorption du chômage? L'urgence est donc de promouvoir toutes les formes d'auto-direction des apprentissages, d'imaginer des environnements capacitant (environnement qui rendent capables d'agir), des écosystème de projets pour toutes les catégories sociales, de réinventer des lieux de rencontre ou l'on apprend à l'occasion d'un projet qui nous tient à cœur. Et si en plus on crée une dynamique collective on gagne en énergie sociale pour s'inclure les uns les autres.
En conclusion il faut nettement repenser la formation en soutien des motivations qui s'expriment et en faveur des projets et de la communauté que ces projets viennent servir, et pas seulement pour préparer des travailleurs à d'hypothétiques emplois que le marché est souvent bien en peine d'anticiper.