Introduction
Ce texte est une exploration critique du marché de la formation et des tendances qui le traversent, plus particulièrement dans le contexte Français. Quatre tendances sont plus particulièrement décrites :
- Le corporatisme des organismes en place
- La numérisation qui s’impose
- L’apparition de nouveaux acteurs
- L’ubérisation en marche ?
Corporatisme des organismes en place
Le sens des lois qui se construisent est plutôt influencé par les gros acteurs de l’éducation et de la formation en place, plutôt que par les travailleurs indépendants ou les petits organismes de formation, voire des acteurs nouveaux issus du monde de la communication ou de l’internet. Autrement dit, les textes sont encore un prolongement, une énième version, des lois originelles de Delors dont ils suivent la trace. La logique de flécher les financements de formation vers des organismes proposant des certifications favorise les rentiers de la formation qui ont très peu fait évoluer leurs pratiques et leurs catalogues de stage sur les 25 dernières années. Curieusement, elle leur donne une prime d’ancienneté. Elle favorise les gros organismes, les organismes paritaires, publics, ou d’état. Incidemment, elle soutient toujours l’idée que la formation est un moyen de financer le paritarisme, dont le jeu d’acteur est parfois bien éloigné des besoins d’apprentissage. Autrement, dit le paradigme d’un contrôle du financement sur un nombre limité de dispensateurs de formation entraine de facto des choix sur les façons d’apprendre. Ce même contrôle qui s’impose sur les choix d’individus que l’on imagine responsable en matière de consommation de soins (rappelons que la sécurité sociale repose comme la formation sur un principe de mutualisation), mais qui ont besoin d’être guidé pour ce qui concerne le choix de leur formation, quand bien même, personne n’est capable de prévoir quelle sera la formation utile pour s’adapter au monde qui vient. Ceux qui rentreront sous les fourches caudines seront financés les autres non. Tout cela au nom de la qualité, et de ses normes. Cette tendance ne conduit en rien à sortir des demandeurs d’emplois de leur situation ne crée pas de créativité, de souffle nouveau, n’ouvre pas aux nouvelles technologies dont nous avons besoin. Elle referme le monde de la formation sur un entre soi. Cet entre soi est cependant chahuté car les écrans sont devenus omniprésents.
La numérisation s’impose
Avant qu’une ouverture sur le fait que la formation, en dehors de la présence d’un formateur, soit reconnue éligible par la loi, il s’est passée plus de 30 ans. C’est tout le combat d’une association comme le Forum Français de Formation Ouverte et à Distance. Ce verrou vient de sauter. Dans le même temps, les technologies de la fin des années 80 ont fortement progressé. Les hyperliens, la possibilité de constituer des groupes en ligne, de bénéficier de visio performantes, l’équipement des individus est même souvent devenu plus performant que les outils dont ils disposent sur leur propre lieux de travail. Les conditions techniques, la masse d’applicatifs, la maitrise d’usages quotidiens, le nombre d’acteurs qualifiés pour soutenir le développement de la formation numérique, tout, est rassemblé pour assister à l’émergence de ce moyen d’apprendre. Du temps sera encore nécessaire pour roder parfaitement des dispositifs socio-numériques, mais il ne fait absolument aucun doute, que la distance est en train de s’apprivoiser. Il n’y a qu’à saluer le succès de FUN et de ses 500 000 participants, libres de toutes contraintes administratives. Les questions des rapports au savoir, de la place du formateur devenant facilitateur, animateur de réseau, MOOC-speaker, des motivations à apprendre, se posent. Force est de constater qu’avec les MOOC et autres formations en ligne organisées de l’étranger, une part de la formation est délivrée en ligne en dehors du contrôle des instances qui s’étaient données ce rôle. Les enjeux glissent du contrôle des contenus, des organismes et de la qualification des formateurs à la stimulation de l’envie d’apprendre. Les outils numériques, les moteurs de recherche libre font plus pour l’envie d’apprendre et de se former que les textes de lois et leur déclaration sur le « stagiaire acteur de sa formation ». Ce n’est pas en contrôlant plus les organismes, et en leur imposant plus de labels que l’on va générer cette envie d’apprendre. Le numérique s’installe comme un moyen de créer de nouvelles curiosités, de nouvelles envies d’apprendre. Il s’agira d’en réussir l’adaptation aux spécificités du monde de la formation et de ne pas céder à l’illusion que l’accès à l’information vaut apprentissage. Il y a encore beaucoup de travail de la part des formateurs pour mettre de l’ingéniosité dans leurs pratiques.
Outsiders et franc-tireurs
Justement de nouveaux acteurs s’intéressent à la formation et au fait d’apprendre. Certains y voient une façon de créer des communautés de consommateurs, capables d’imaginer des applications au bénéfice d’une marque. Certains font de leurs magasins des lieux de rencontre ou les bricoleurs clients apprennent et achètent les matériaux dont ils ont besoin. D’autres ont compris que pour innover il fallait apprendre ensemble. Ils créent des plateformes, des espaces de rencontre, des fab-labs, ce faisant ils ne se soucient pas des feuilles de présence, ou des objectifs de formation, mais ils captent les envies, les visions et les projets. C’est par exemple toute l’initiative d’Orange et de sa plateforme collaborative Solerni. La participation à des programmes d’innovation est en soi une aventure gratifiante, une expérience sociale où chacun a l’opportunité de rencontrer des personnes différentes et d’enrichir son capital social, en dehors du contrôle d’une entreprise ou d’un OPCA. Ces nouveaux espaces qui se démultiplient actuellement sont plus portés sur la liberté pour apprendre que sur le respect d’un programme. Le faire s’invite dans les pratiques. A cet égard le numérique est un moyen d’aide à la mise en connexion. Il n’y a qu’à observer pour la seule région parisienne la diversité des propositions en navigant sur la Tech On Map. On reste stupéfait de voir comment les entreprises, association, groupes citoyens se maillent par grappes, sujets d’intérêt. Les médias traditionnels s’emparent également du numérique pour devenir des chaines du savoir, ou des espaces d’apprentissage, à l’exemple de France Culture Campus. Les indépendants ne sont pas en reste. Ils utilisent à leur profit cette dynamique d’apprentissage pour réévaluer et présenter autrement leur offre de service, qu’ils se gardent bien d’appeler formation. Le savoir est devenu le un nouvel or, et la multitude d’initiatives des travailleurs du savoir ne saurait être si facilement régulée dans les logiques d’un « marché de la formation » à l’ancienne qui porte de plus en plus mal son nom.
L’ubérisation en marche ?
La question de l’ubérisation se pose aux rentiers de la formation. Une sorte de frisson, plus ou moins bien contenu, parcourt régulièrement l’échine des dirigeants d’organismes de formation les mieux établis. Et si une plateforme de formation s’imposait ou chaque particulier pourrait monnayer un tour de main une connaissance ? Et si une plateforme collaborative (tient pourquoi pas Stample ?), connectait un flux d’apprenants ? La question est moins évidente qu’il n’y parait car contrairement à la prestation de location d’appartement, ou de transport d’un voyageur, la formation c’est surtout de l’apprentissage, et celui-ci revêt une dimension sociale importante. C’est du conflit sociocognitif cher aux pédagogues que l’on apprend. Youtube ou Daily motion offrent bien une variété de tutoriels par le moyen desquels chacun peut apprendre de tout sur tout, mais l’accès à l’information est insuffisant. L’apprentissage pour se produire a besoin d’interaction, de questions, d’un autre (formateur tiers, ou apprenant) par lequel le savoir transite et se transforme pour me pénétrer. L’apprentissage a besoin de motivation, de cheminement personnel, de balises. Il s’agit d’un processus social finalement assez exigeant qui ne se met pas si facilement dans une bourse d’échange de savoirs. Des acteurs tels que coorpacademy, proposent des cours en ligne et cassent littéralement les prix. Mais il n’est pas encore donné à tout le monde d’apprendre seul.
Conclusion
Ce que dessine ce panorama c’est la mutation du monde de la formation conduit par la gestion à un autre monde stimulé par l’envie d’apprendre. Cette envie d’apprendre ne se décrète pas. La loi peut certainement, lutter contre les organismes peu sérieux en édictant des normes, elle peut favoriser la création d’écosystèmes favorables à l’apprentissage, mais elle ne peut pas créer l’envie d’apprendre. C’est notamment une responsabilité des professionnels de la formation de chercher des réponses à ces questions, en s’ouvrant à d’autres professionnels, par exemple des designers des graphistes, des sociologues, des artistes, en explorant de nouvelles pratiques. Dans tous les cas ils ne doivent pas oublier les apprenants les plus fragiles, les plus éloignés de l’emploi. Ils ne doivent pas oublier que la formation n’est pas que l’adaptation à une tâche ou un poste de travail, mais participe à la réponse à des enjeux sociétaux tels que vivre ensemble, faire reculer l’exclusion et vivre en paix dans notre monde.