Texte en référence : http://4cristol.over-blog.com/mes-travaux-et-publications.html
Dont « Humaniser la formation des dirigeants : vers un leadership démocratique » L’Harmattan 2015
1 – La place du travail et des conditions de travail dans l’activité des managers ingénieurs et chefs de projet
Le travail et les conditions de travail des salariés prennent deux sens pour ce qui concerne les managers ingénieurs et chefs de projet. D’une part leur propre condition d’exercice. D’autre part la façon dont ils influencent le travail et les conditions de travail des autres collaborateurs. Dans le premier sens, le travail est souvent un travail sur autrui. Leur matière de réflexion et d’action est l’homme qu’il soit pris de façon individuelle, collective ou organisationnelle. Aujourd’hui, le travail sous autrui échappe à la seule relation inter-individuelle et est placé sous haute surveillance. Les modalités de régulation externe s’imposent sous la forme de « risques ou ressources psychosociale », de normes informelles de bien être (best place to be, idéal de bonheur au travail), et toujours par l’inflation d’article du code du travail. Le travail avec et sur autrui est donc particulièrement contraint. Les managers plus que tout autre collaborateurs sont appelés à jouer des rôles sociaux et répondre aux injonctions paradoxales qui leurs sont faites et qu’ils sont sensés accompagnés (à titre d’exemple : modernisation, altérité, développement durable, transition numérique, profit, libération, respect des processus, mutation technologique, mieux être au travail). Ils sont donc à la fois les chevilles ouvrières des politiques sociales et industrielles, des processus de créativité et de production, les garants des délais, de la qualité des coûts et des résultats, les vérificateurs des compteurs de mesure en place, mais également des régulateurs de normes qu’ils imposent et transgressent en permanence. A cet égard, l’idée qu’il existe du travail réel et du travail prescrit est battue en brèche par la composition singulière qu’organise chaque manager, qui introduit sciemment une part de flou et qui négocie en permanence pour faire face à la complexité. Cette frontière poreuse entre ce qui est dans les standards attendus et ce qui ne l’est pas renvoie à la seconde acception du travail et des conditions de travail cette fois l’influence des managers ingénieurs et chefs de projet sur le travail et les conditions de travail d’autrui.
La souplesse dont font preuve les managers pour faire que le travail soit réalisé dépend de nombreuses variables contingentes à la situation : type de production, taille des équipes, historique des relations sociales, cadre des interactions en place, processus d’organisation du travail, type et taille d’entreprises ou d’administration, niveau de responsabilité exercé. Selon ces variables les managers ont une prise plus ou moins forte sur le travail d’autrui. Un examen attentif des fonctions de management telles que le recrutement, la formation, la prescription de tâches, le commandement et la coordination, la vision, la définition des objectifs, le pouvoir de reconnaissance (prime, salaire, mobilité, déplacement) montre que la réalité des responsabilités exercés sur autrui peut être particulièrement contrainte et partagée, diluée ou ramassée.
2 – Les compétences du manager ou du chef de projet de demain
Elles sont multiples et très variées, selon les contextes, mais deux mouvements principaux les affectent aujourd’hui. Le premier mouvement est la webisation des organisations de travail. Les collaborateurs emmènent avec eux leurs façons de penser et d’interagir issues de pratiques sociales codifiées de plus en plus fréquemment par la fréquentation d’écrans (31 heures de visualisation par semaine en moyenne en France). Ces collaborateurs sont souvent mieux équipés à titre personnel qu’à titre professionnel de ressources numériques : terminaux et logiciels libres. Les façons d’interagir touchent alors aux modes de communication directe, instantanée, en réseau, au fonctionnement même des façons de construire sa pensée avec les ressources en ligne. La webisation remet en cause les systèmes traditionnels d’autorité hiérarchique basé sur le contrôle du travail, ou des outils de production. Cette webisation est plus ou moins prégnante selon les secteurs d’activités. Elle affecte fortement les travailleurs qualifiés et travailleurs du savoir de plus en plus nombreux dans une société du service, ou société de la connaissance. Le second mouvement tient de la capacité de maîtriser des émotions pour faire avec les différences de vues, de besoin de se singulariser, ou de se ressentir tel dans sa façon de se réaliser au travail dans ses préférences sociales, ses choix affinitaires (parfois communautaires), dans sa façon d’être au travail. Le besoin de capacité émotionnelle des managers ingénieurs et chefs de projet sont exacerbées par l’irruption des affects notamment provoquées par les modes d’organisation complexe combinant du vertical (structure hiérarchique), de l’horizontal (agrégation de métiers), ou transversale (mode projet et/ou ouverture vers l’extérieur pour écouter les marchés et innover). Les porosités sont multiples et les frontières érigées par des directives ou des normes sont relativisées, il en résulte un besoin accru de régulation de proximité pour passer d’une logique organisationnelle à l’autre tout en gardant le sens de la continuité de l’action et de ses finalités.
3 – Les leviers qui permettent aux managers ingénieurs et chefs de projet de concevoir, manager et transformer en prenant compte le travail et ses salariés
La maîtrise technique d’un métier est indispensable mais elle est insuffisante, pour coordonner et entrainer l’action, les leviers pour faire avec soi, les autres, les organisations et l’environnement va puiser à un développement personnel de plus en plus prononcé.
- La passion pour une mission un métier commun
- La capacité à regarder l’autre tel qu’il pourrait être et non tel qu’il est étiquetté : c’est le pouvoir d’un manager pédagogue
- Les aptitudes relationnelles : intrapersonnelles, inter-personnelles
- Les compétences de leadership en phase avec la culture dominante, mais qui peut aussi être du leadership partagé, authentique ou transitionnel (tournée vers la vision de l’avenir en train de se faire)
- La connaissance des hommes et des organisations
- Le capital de réputation et de confiance accordé a priori
- La sécurité ontologique qui donne une liberté de ton
- Le pouvoir de discernement dans la complexité
- La capacité de se développer par soi même pour faire avec sa complexité et celle des autres et des situations
4 - Le rôle de la formation initiale au niveau des écoles d’ingénierie et de management les initiatives menées
Le rôle de la formation initiale doit se centrer sur un équilibre entre contenus techniques des métiers et des mises à l’épreuve ou « aguerrissement » à l’occasion de projets à mener en vraie grandeur. Cette formation initiale doit permettre de maîtriser les enjeux des différents leviers de forger les caractères, d’obliger chacun à se poser des questions en conscience de savoir pourquoi il veut diriger, ou conduire l’action. Elle doit aussi favoriser le travail collaboratif qu’elle nie actuellement de façon vigoureuse (processus individuel de sélection « des meilleurs » via concours ou épreuves individuelles, classement des cerveaux). Elle doit préparer des citoyens conscients de leur devoir sur le monde en matière de réchauffement climatique développement de leur communauté et justice sociale. Elle doit donner accès à une haute culture scientifique et ancrer les connaissances dans la sensibilité humaine (science sans conscience n’est que ruine de l’âme). Elle doit apprendre pour le collectif et pas seulement pour soi. Elle doit éviter l’ego-building au profit de l’eco-co-conception.
5 – Le rôle de la formation continue adressé aux managers et chefs de projet, les initiatives menées.
Le rôle de la formation continue est d’éprouver la capacité de chaque cadre à se confronter à des défis humains et organisationnels jusqu’alors non résolus. Elle doit aider à une prise de distance réflexive qui donne accès aux savoirs implicites que chacun détient de l’exercice de son travail. Elle doit permettre de favoriser la création de collectifs professionnels et des réseaux. Elle permet d’explorer et d’échanger de nouvelles pratiques pour accompagner les transformations. Elle aide à aller au-delà de la seule maîtrise technique pour s’ancrer dans des postures d’hommes/femmes prêts à affronter des situations humaines inédites. Elle confronte au flou à l’incertitude à la résistance du réel. Elle outille pour ressentir et piloter des ensembles humains changeants, exigeant et en perpétuelle mutation. Elle préparer simultanément à la maîtrise technique et au métier d’homme et de meneur d’homme. Le métier de meneur d’hommes étant de se mettre au service des autres pour les grandir en faire des leaders et tendre vers les meilleures valeurs humaines.