Encore un excellent article de Denis Bismuth Métavision
L’émergence régulière de courants pédagogiques se prétendant innovants vient souvent mettre les enseignants et les formateurs dans une perplexité et un embarras infini. De Montessori à Freinet en passant par Feuerstein ou La Garanderie le champ de la pédagogie voit émerger régulièrement quelques propositions décalées qui détonent quelque peu. Ces propositions d’innovation renvoient toujours à la même idée : En ce centrant sur l’apprenant plutôt que sur le contenu, on peut arriver à faire de l’enseignement ou la formation un processus éducatif source de grandissement des individus.
Il y aurait une pédagogie traditionnelle et une pédagogie différente de la pédagogie traditionnelle qui en serait l’alternative. Comme s’il y avait la « vilaine pédagogie » traditionnelle qui crée des inégalités et la « pédagogie alternative » libératrice de l’intelligence de l’apprenant qui fait grandir.
La pédagogie traditionnelle est basée sur la transmission de contenus par un enseignant expert et la pédagogie alternative est plutôt orientée « accompagnement des apprenants » pour les aider à construire leurs connaissances.
On peut se demander pourquoi, alors que cela semble une évidence qui tombe sous le sens, cette proposition n’a jamais réussi à s’imposer dans le modèle pédagogique dominant ?
Derrière cette conception « alternative » il y a souvent l’allant de soi qu’il s’agit de faire un choix : C’est un courant ou l’autre. En théorie c’est vrai. Mais le formateur ne vit pas en théorie mais dans sa salle de cours.
Dans la confidentialité de l’accompagnement des formateurs en analyse de pratiques, on se rend vite compte que ce n’est pas si simple : Dans sa salle de cours le formateur ou l’enseignant se confronte à une réalité dans laquelle il n’est pas possible de penser appliquer un modèle « alternatif ». Ne pas donner de contenu paraît aussi illusoire que de ne faire que donner des contenus.
On peut voir l’émergence des « nouveaux » courants pédagogiques comme une sorte de rappel du réel :
Face à la recherche d’une réponse pédagogique efficace et rationnelle qui se centre sur le contrôle du contenu, il est bon de rappeler de temps en temps qu’il y a aussi dans la boucle un être humain qui a sa part d’irrationnel et de non-conscient et qui n’est donc pas contrôlable.
En réalité il n’y a pas de courant alternatif, mais il y a une pédagogie qui sait fait alterner les moments de centration sur l’apprenant et les moments de centration sur le contenu.
PEDAGOGIES ALTERNATIVES OU PEDAGOGUE ALTERNATIF ?
Sortir du « ou exclusif »
Le mot alternative est à prendre en pédagogie au sens du courant alternatif : Un fois dans un sens et une fois dans l’autre et un peu d’un troisième voire un quatrième. Le métier de pédagogue est un métier de bricoleur parce que l’apprentissage est un bricolage. Pour employer un mot un peu plus scientifique : l’apprentissage est le fruit d’une confrontation au réel. L’apprenant confronte le savoir qu’on lui propose d’acquérir, à la réalité de son projet d’apprentissage.
Le savoir est une rumeur tant qu’il n’est pas incarné par l’expérience (embodied disait Varela). Seule la confrontation au réel peut produire cette incarnation.
Alors certes l’apprentissage est l’affaire privée du sujet apprenant comme le prônent les pédagogies « alternatives ». Mais l’apprenant n’a pas assez de toute sa vie pour réinventer l’histoire du savoir. Il faut bien qu’on lui fasse un résumé des chapitres précédents. Il faut bien qu’on l’instruise, et qu’on lui donne les instructions pour vivre l’école. Il faut bien le nourrir des « concepts outils » partagés par tous si on veut qu’il sache se déplacer dans l’espace du savoir constitué qu’est l’enseignement.
L’étymologie de « pédagogue » est une métaphore de la complexité de l’apprentissage : il y a d’un coté le précepteur qui donne les préceptes, l’instructeur qui donne les instructions. Et il y a de l’autre coté, le pédagogue serviteur qui accompagne l’enfant chez le précepteur. L’un est au service de la société pour faciliter la reproduction des compétences sociales des « nouveaux arrivants » et l’autre est au service de l’enfant pour l’accompagner vers cette instruction.
Il ne s’agit pas de choisir entre une pédagogie instructrice orientée « contenu et prescription » et une pédagogie orientée « sujet apprenant » ou le formateur, par un questionnement introspectif, conduit l’apprenant à élaborer son savoir d’expérience.
Il s’agit d’accompagner le « système apprenant » dans sa capacité a faire alterner les moments ou l’on suit un cours magistral, les moments ou on co-produit du savoir en groupe, les moments ou on travaille seul, les moments ou on enseigne aux autres et les moments ou on ne fait rien : c’est tout cela apprendre.
Un « système apprenant » alternatif est capable de piloter un système complexe qui permet à tous en particulier de bricoler là dedans.
On peut parler de système apprenant car il est illusoire de croire que le formateur est seulement celui qui est « face aux apprenants ». Celui qui est « face aux apprenants » n’est que l’incarnation d’une partie du système apprenant qui inclus l’ensemble des contributeurs : le formateur (ou l’enseignant), le « bureau des méthodes pédagogiques » les apprenants l’administration, le superviseur des formateurs, les chercheurs etc.
La fonction du système apprenant est de mettre en place un contexte qui favorise l’apprentissage
Dans le schéma proposé ici, l’instructeur nourrit le modèle cognitif par du pré-pensé qu’on appelle le savoir qui est en fait l’état provisoire et actuel des croyances partagées dont on sait le peu de permanence.
Le système apprenant a comme mission de créer un contexte apprenant, c’est à dire un contexte qui va favoriser le mouvement alternatif du passage de l’expérience à la conceptualisation. Le pédagogue a comme mission d’accompagner l’apprenant dans sa manière de gérer l’intégration dans son modèle opératif des éléments du modèle cognitif.
L’objet du travail du pédagogue c’est de rendre possible le geste de réfléchissement.
La fonction du formateur dans ce système est de rendre possible la dynamique systémique qui favorise le geste de réfléchissement.
Pour réfléchir l’apprenant a besoin de concept « outil » du modèle cognitif. Ces concepts outil il ne peut y accéder que par une démarche du type « cours magistral ».
Ce qui est alternatif c’est le mouvement de passage de la théorie à l’action
Chacun des courants pédagogiques peut être vu comme un système de croyance qui sert à mettre le système apprenant en tension. Après c’est au formateur ou à l’enseignant de voir ou il met à tout instant le curseur plutôt vers la posture orientée apprenant ou plutôt vers la posture orientée contenu.