Executive Master spécialisé RH à Sciences Po, nous travaillons actuellement sur une note prospective portant sur l'avenir des modèles organisationnels dans les entreprises à l'horizon 2025 voici nos questions (et mes réponses) :
1. Quels sont, à votre avis, les grands défis qui attendent les entreprises d’ici 2025 en termes de modèles organisationnels ?
Les entreprises devront intégrer beaucoup plus les questions sociétales qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Elles ne peuvent plus se contenter d’être performantes alors qu’autour d’elles les crises ne cessent d’enfler. Elles devront donc changer leur modèle pour satisfaire leurs actionnaires mais également les communautés et la nature qui les abritent. Sans ces communautés il n’y a pas de client, sans cette nature il n’y a aucune matière pour fabriquer et vendre des biens et services.
2. Quels seront, selon vous, les facteurs les plus impactants sur la transformation éventuelle des organisations ? (Politique, économique, écologique, technologique, sociologique)
La question climatique et environnementale est essentielle. La maison brûle, les entreprises ne peuvent regarder ailleurs en disant ce n’est pas notre affaire. Certaines sont plus puissantes que des états, elles doivent donc assurer des responsabilités plus grandes. La pression de l’opinion va aller croissant sur des résultats effectifs bien au-delà d’un green whashing. Leurs propres employés exigent déjà des mesures plus fortes et des preuves d’engagement.
3. Aujourd’hui la plupart des entreprises fonctionnent selon un mode d’organisation dit “hiérarchique”. Pensez-vous que ce modèle sera toujours dominant à cet horizon ?
C’est un mode efficace en matière de régulation et d’arbitrage humain, mais il produit des insatisfactions trop nombreuses qu’un management participatif ne parvient à combler. Le management en tant que technologie sociale date de l’ère de l’industrialisation (XIX et XXéme siècle), il emprunte au monde militaire ses repères, mais nous sommes désormais passé à une ère quaternaire société de la connaissance, hyper financiarisée, il fonctionne moins bien. Je voies plutôt se mettre en place un mode chaordique avec d’une part de l’ordre fait d’autorité de tradition de management des processus et d’autre part du chaos fait de créativité d’initiatives d’innovations. Ces deux modes parviendront à s’équilibrer pour ménager les égos des dirigeants et des challengers innovateurs et profils créatifs.
4. Quid des interactions entre grands groupes et start up ?
La porosité va aller croissant car les idées se font par sérendipité et rencontre avec des acteurs différents. On ne résout pas les problèmes de demain à partir de croyances d’hier disait Einstein. Cependant, il est important de protéger les jeunes pousses pour que ce qu’elles apportent de sédition culturelle et technologique ne soit pas trop vite absorbé par des vieilles routines technocratiques. Un statut plus protecteur ou des soutiens financiers plus forts pourrait aider à ce qu’elles puissent échapper à des rachat suivis de mise en ordre comme le font tellement souvent les grands groupes, en particulier les GAFAM.
5. Quel événement majeur, à l’horizon 2025, pourrait venir bousculer radicalement les modèles organisationnels des entreprises ?
Les événements politiques et économiques, les épisodes climatiques de plus en plus erratiques sont incontrôlables par les entreprises. Les militaires américains parlent d’un monde VUCA. Ce monde volatile, imprévisible, complexe, incertain oblige les entreprises à écouter mieux et plus les avis divergents qui émanent de leurs propres équipes. Mieux écouter la diversité sera un facteur de résilience et d’adaptation. Cela passera par une plus grande horizontalisation des modes d’organisation. A cet égard des consultants telle que Samantha Slade imagine des pratiques managériales renouvellées voir son ouvrage « Going Horizontal » sur les pratiques préconisées.
6. Pensez-vous que le salariat sera toujours le mode de collaboration dominant et quels seront, selon vous, les nouvelles formes de collaboration qui vont se développer ?
Il y a toujours des inclus et des exclus. Les salariés aujourd’hui raflent la mise en terme de rémunération et de sécurité, mais ils le font au prix d’un asservissement volontaire à des visions du monde qui ne leurs conviennent pas. Trop d’injustice, trop d’isolement, trop de menace. La sécurité est encore particulièrement prisée. Chacun se réfugie dans un diplôme, un métier sûr, une ville voire un pays plus riche pour s’offrir un avenir. Je pense donc que ce mode va perdurer, cependant, des formes alternatives se multiplient pour des jeunes entrepreneurs, des vieux consultants, des créatifs culturels qui changent leur façon de vivre et cherchent à s’accorder un plus à leurs valeurs. On observe aussi des regroupements coopératifs ou communautaires et une variété d’alliance qui se testent pour inventer d’autres formes de collaboration. Pour ma part j’ai identifié qu’un « capitalisme des identités » était en train de se mettre en place, avec ceux qui sont dotés de capitaux économiques et sociaux mais aussi d’un capital de projet et de capacité à se projeter dans le monde demain. Ils imagineront d’autres formes de relation et de mode de vie.
7. Comment pensez-vous qu’évoluera le rapport au travail des actifs d’ici 2025 (à savoir, quelles seront leurs aspirations en matière d’activité(s) professionnelle(s), équilibre vies perso/pro, de revenu d’activité(s)...) ?
La robotisation, l’intelligence artificielle détruisent déjà des emplois de caissiers et de banquiers qui occupaient des centaines milliers de salariés. Il s’agit là de deux exemples parmi d’autres, dans le même temps l’espérance de vie continue d’augmenter, très légèrement mais elle progresse quand même. Des rééquilibrages dans la redistribution des richesses sont donc indispensables, au risque de voir une société avec une minorité de bénéficiaires et une majorité devant subir toutes les privations en particulier de projection et d’identité future. Pour certains un mode de vie plus local sera une solution. Pour d’autres l’équilibre de vie revalorisera la sphère personnelle, tellement sacrifiée au travail. Pour d’autres encore il y aura des trajectoires d’exploration de métiers nouveaux en cours d’émergence jusqu’à trouver des revenus qui équilibrent sa vie.
8. Quels seront, selon vous, les enjeux/ nouveaux rôles de la fonction RH dans l’entreprise de 2025?
La fonction RH sera toujours une fonction régalienne de l’entreprise chargée de recruter, administrer, payer les salariés. Elle devra cependant accompagner plus sérieusement les profils atypiques, favoriser l’intrapreneuriat, les entrées sorties de professionnels qui resteront probablement moins longtemps sur leur poste. Elle devra faire sa mue pour passer d’une logique où elle contrôle et régule à une logique où elle autorise et facilite. Ses professionnels auront de nouvelles compétences à acquérir en matière de conduite sociale des transformations, facilitation de groupe, appui aux communautés professionnelles, développement d’écosystème d’action, d’apprentissage et d’innovation. Elle devra laisser plus de place à la créativité et un peu moins à la gestion. Cela sera une vraie difficulté pour elle, car elle est souvent considérée comme gardienne du temple.