Questions posées par André Perret, rédacteur en chef du MagRh
TABLE RONDE DU MAGRH : FORMATION ET QUALITE
Bonjour à tous, et merci pour votre participation à cette nouvelle table ronde virtuelle du MagRH…
Le thème du jour aurait pu être « que pensez-vous de Qualiopi », ou mieux encore « comment peut-on améliorer le dispositif », ce qui aurait été une suite aux échanges parfois musclés de ces dernières semaines sur les réseaux sociaux. Mais c’eut été certainement réducteur. Si nous avons décidé de ne pas exclure pour autant, ce sujet, nous allons prendre de la hauteur, comme toujours dans les colonnes du Mag, pour se poser une question plus fondamentale : à quoi sert un processus qualité en formation, pour qui, et comment… et quels sont les bénéfices attendus.
Et si ma première question était la suivante pour dater ce débat : « Depuis quand s’intéresse-t-on à la qualité en matière de formation ? »
La « formation » en tant qu’institution sociale prend une ampleur sans précédant avec les lois Delors, des années 70. J'ai trouvé dans Éducation Permanente, un texte de Guigou de 1975, un mot qui dénonçait l'industrialisation de la formation et ses méfaits : la stagification. La stagification c'est le déroulement d'un programme de formation préétabli respectant un cahier des charges avec des objectifs et des contenus précis qu'un formateur est chargé de délivrer aux participants. C'est une continuité de l'esprit de Taylor appliqué à l'enseignement ou tout ce qui doit se dérouler est pensé par avance pour traiter des flux importants de stagiaires qui n'ont qu'à absorber la prescription pédagogique qu'on leur propose. Cette passivité dans le rôle attribué aux participants est une façon incidente de tuer toute curiosité ou engagement à apprendre. Une part des usages formatifs et de l’esprit qualité de la formation est un héritage direct de ce monde industriel qui a fourni des « ingénieurs de formation », spécialistes en ingénierie de formation en charge de bâtir des programmes respectant le même type de cahier des charges que dans l’industrie. De grands organismes de formation comme la Cegos (anciennement CGOST compagnie générale d’organisation scientifique du travail créé en 1926), ou le CESI disposaient « d’ingénieurs de formation ». Ils ont embarqué avec eux cette dichotomie maîtrise d’œuvre/maîtrise d’ouvrage telle que pratiquée à l’époque dans bureaux des études des usines, laissant pour compte la maîtrise d’usage, c’est-à-dire le client, et dans notre question l’apprenant.
Pour ne pas mélanger les genres, les termes exacts à employer sont-ils « certification » « labellisation » « normalisation » ou un autre mot ?
Pour moi les termes renvoient à des objets différents.
La certification est la reconnaissance par un tiers légitime d’un respect de l’atteinte d’un standard par le moyen d’épreuves, de contrôle ou d’audits au regard d’un référentiel préalablement rédigé. La légitimité de ce tiers est liée à son pouvoir de décision et d’action par exemple un ministère, la notoriété et le savoir-faire de l’institution, puis enfin la confiance construite dans la durée des décisions et actions de ce tiers. La rigueur du processus de certification est aussi un élément qui atteste le sérieux de la reconnaissance délivrée. Ainsi un certificat de présence ne produit pas les mêmes effets qu’un certificat de réussite à un examen ;
La labélisation est une garantie proposée de délivrance d’un standard très précis et reposant essentiellement sur le processus de contrôle et sa traçabilité. Ce processus porte sur les étapes de transformations ou le produit fini.
La normalisation est la référence à une norme de processus ou d’état. C’est la conformité aux attentes d’un régulateur, en particulier une loi.
Tous ces mots se situent dans des logiques de contrôles d’éléments de preuves classés selon des critères construits. Ils renvoient à un monde hiérarchisé qui priorise selon les valeurs de ses dirigeants, mais pas forcément selon les règles de l’art ou les usages du métier.
Qu’auraient montré les compagnons du devoir si vous leur aviez demandé le référentiel de la cathédrale qu’ils étaient en train de construire ?
Levons les doutes, si nous le pouvons, doit-on valider la qualité du processus ou celle du contenu pédagogique ?
Dans la proposition faite entre processus et contenu, il faut bien comprendre que la qualité en formation se heurte à une difficulté particulière : l’apprenant. La qualité proposée conçoit un dispositif de formation comme un décor dans lequel on placerait l’apprenant. Si le décor est de qualité alors l’apprentissage va se dérouler. Cette vision met de côté un détail la formation est une activité qui vise à favoriser l’apprentissage qui se déroule entre le cerveau et le corps de l’apprenant et par couplage libre avec son milieu. Apprendre revêt une dimension expérientielle singulière. Croire que le bon environnement est suffisant pour apprendre renvoie à des visées behavioristes dépassées en sciences de la formation. La part de soi dans l’apprentissage est difficilement validable par un tiers car elle tient du désir, du projet et de la volatilité de la motivation. L’éducation nationale l’observe tous les jours malgré des siècles d’expérience, elle échoue avec ceux de ses élèves pour lesquels apprendre n’a pas de sens et ne procure pas de motivation.
Il faut ici souligner un hiatus entre « la formation » comme système institutionnel de contrôle du bon usage du temps collectif et de l’argent public et « l’apprenance » comme désir singulier d’apprendre, désir qui échappe au contrôle et à la régulation. Autrement dit si vous m’offrez quelque chose que je ne reçois pas, votre don est sans qualité pour moi.
La conséquence en est qu’il est possible de bâtir un magnifique processus de formation mais qui ne produira aucun apprentissage car il ne rencontrera pas la motivation du bénéficiaire.
S’il fallait faire comme pour les dispositifs sanitaires ou pharmacologiques, pourrait-on mesurer le rapport « bénéfice/risque » ?
La question de l’évaluation de l’usage des fonds publics ou privé ou de la qualité de leur mise en œuvre se pose légitimement. Une des pistes pour vérifier si l’argent dédié à la formation est bien utilisé est de mesurer les effets produits à terme.
Lorsque des décideurs doutent de l’intérêt d’engager des processus de formation, il est possible de leur rappeler la phrase imputée à Lincoln « si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance »
Cependant la seule mesure économique est insuffisante car un pays comme la France est très investi mais est-on sûr des effets en retours ?
Le rapport coût/bénéfice devrait intégrer une variété de critères sociaux et économiques.
La dimension d’évaluation des dispositifs de formation est complexe car elle est multipartite et que les intérêts en jeu et les bénéfices sont différents. Par exemple entre la volonté adéquationniste de l’état qui veut résoudre des problèmes d’emplois en mettant en lien formation et stock d’emplois disponibles, les désirs et projets des individus qui ont des souhaits d’évolution et possibilités très variables, les problématiques opérationnelles des organismes de formation.
La question se pose à des niveaux macro, méso organisationnel et individuel, la question bénéfice/risque se pose donc différemment à ces niveaux et la simplification par exemple « un référentiel pour tous » produit des solutions de mesure qui ne satisfont que ceux qui sont en mesure de peser sur l’orientation de ce référentiel, ou d’en bénéficier.
La formation représente un « marché » énorme en terme financier. Mais avec deux pôles distincts : celui du financement mutualisé ou public d’une part, même si au passage il est financé en grande partie par les prélèvements sur les entreprises, et celui de l’entreprise de l’autre à travers les formations obligatoires et le développement des compétences des salariés. Est-il cohérent de voir les deux pôles ne pas être soumis aux mêmes contraintes en matière de qualité ?
A l’ère de l’économie de la servuction on perçoit bien que la qualité est un terme subjectif qui dépend de celui qui vit le service et en l’occurrence le coproduit.
Le « marché de la formation » gagne par sa diversité qui autorise des inventions locales, du mouvement de la vie, je ne suis pas partisan du tout normatif.
Rappelez vous que les MBA américain étaient à l’origine une démarche étatique pour contrôler l’usage de l’argent public. L’orientation de ces MBA et les dérives observées (consumérisation de l’éducation, surenchère financière, dérives éthiques etc.) devraient nous mettre en alerte sur une volonté trop forte.
La résilience du système sera plus forte si il admet un minimum de diversité.
Quand on sait qu’une majorité d’entreprises en France n’est pas encore dans une logique d’évaluation à froid de leurs actions de formation (on parle encore de 60/70% ?), alors qu’on commence à accepter l’idée de concevoir la formation comme un réel actif immatériel, quelle est l’incidence du « culturel » sur le regard porté sur la notion de formation ?
L’évaluation à froid engage une réflexion sur l’appropriation et la transformation de soi dans l’acte d’apprendre, mais aussi un regard plus affiné sur l’investissement dans le capital immatériel, c’est donc un effort à encourager.
Cependant il faut se souvenir que 70% de ce qu’un adulte apprend se produit de façon informelle par bribe dans son activité professionnelle, par engagement dans l’action il sera donc difficile d’évaluer les moments diffus, les cultures ou les ambiances qui permettent d’apprendre.
Et l’innovation dans tout ça ? Les nouveaux outils pédagogiques sont-ils « normalisables » où ne risquent-ils pas d’être limités voire censurés par des audit contraignants ?
Pour moi, les pratiques pédagogiques les plus riches sont celles qui vitalisent les organisations et offrent un maximum d’opportunité pour bouger le cadre et jouir d’un maximum de liberté pour apprendre. Elles s’adaptent aux normes, s’en nourrissent et parfois les font évoluer.
La normalisation sera nécessairement une contrainte, par exemple quid de la norme quand l’acte éducatif a une durée de 10 20 ou 30 ans ? (cas de l’apprentissage dans une communauté pérenne)
Ce cas n’est pas prévu. Mais l’inscription dans la durée touche des apprentissages et des savoirs ontologiques essentiels. Au regard des savoir-faire attendus du XXIème siècle qui peut dire que ce type d’apprentissage est inutile ?
La norme stimule et protège les innovateurs plutôt qu’elle ne les brime, elle les incite à être toujours plus créatifs et à dépasser les croyances d’efficience du moment. Elle les conduit à vérifier que leur offre de valeur apporte une qualité attendue.
Les réformes de la formation se sont accélérées ces dernières années et donc, parfois, les outils d’accompagnement ont été conçu peut-être dans l’urgence. Ce serait à refaire aujourd’hui, quels sont les modifications du système que vous jugeriez utiles ou indispensables ?
Le système de la formation est un assemblage de pratiques, de règlements, d’histoires, d’accords, de petits pas, parfois de reculades plus de 30 fois réformés depuis les lois de 71.
Les outils existants permettent déjà de disposer de ressources pour apprendre, même si les choses paraissent complexes et pas toujours bien redistribué. On peut donc espérer plus d’ergonomie, plus de fluidité, plus de simplification, plus de justice. Mais là n’est pas l’essentiel, la question que je me pose est le sens du système lui-même et la façon dont il fait grandir chaque individu, chaque collectif, chaque organisation, chaque territoire et permet l’émancipation, crée du vivre ensemble et renforce les liens sociaux.
Attention à la dérive du « tout numérique » qui ne permet pas de véritable incarnation humaine, attention au réflexe législatif constant. Le plus important est de créer une ambiance qui donne envie d’apprendre à chacun et lui laisse espérer un avenir meilleur pour lui et ses enfants, la communauté toute entière.
Quelles sont les questions que vous voudriez qu’on vous pose ?
Ma questino serait que change le paradigme de l’apprenance aujourd’hui ? Ce paradigme s’intéresse à la façon dont les adultes apprennent, les motivations qu’ils poursuivent et le sens qu’ils mettent dans leur apprentissage. Il pose la dimension pédagogique en complément du paradigme de la formation qui est une équation sociale et économique.
Il est en train de gagner ses lettres de noblesses en revenant au concret de l’acte d’apprendre.
Il y a encore du chemin pour que le système mette au cœur l’acte d’apprendre de ses raisonnements, mais j’ai bon espoir que cela stimule les réflexions pour faire progresser l’intérêt commun.