Voir les savoirs. Lieux, objets et gestes de la science. Jean François Bert et Jérôme Lamy. Anamosa. 2021

Voir les savoirs - ANAMOSA

Lieux, objets et gestes de la science Jean-François Bert Jérôme Lamy Que serait Michel Foucault sans ses bibliothèques, Galilée sans sa lunette, Jules Maciet sans ses ciseaux, James Prescott J...

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L’approche matérielle des savoirs s’inscrit dans l’histoire des sciences. L’ouvrage proposé par deux sociologues historiens des sciences est révélateur  de l’aspect spatial, instrumental et corporel  des savoirs savants. Il éclaire d’un jour nouveau la croyance en des savants éthérés éloignés du monde dans leur tour d’ivoire. Ce faisant en visualisant cette matérialité, c’est toute l’influence de la société, des contextes,  dans la production d’idées savantes qui se révèle. L’examen minutieux des lieux ou s’élaborent des savoirs et des objets adventices pour se faire est passionnant.

Trois grandes thématiques sont développées. Tout d’abord la topographie des savoirs, puis les objets savants et les médiations matérielles et enfin les gestes de la science.

La topographie des savoirs donne à voir comment les espaces  laboratoire, bibliothèque, bureau jouent un rôle. La distribution architecturée des savoirs quelle qu’en soit l’échelle micro, locale, régionale, nationale, internationale oriente le sens et la portée des découvertes. Cette topographie examine

• La configuration spatiale du savoir scientifique
• Les trajets spatiaux du savoir scientifique
• Les multiples manières dont les savoirs sont mis en forme

Les connaissances sont solidaires de leurs lieux d’énonciation est l’une des thèses sous-jacentes de l’ouvrage. La question clé est celle de la circulation des savoirs et le maintien de leurs valeurs énonciatives quel que soit le lieu.

Par exemple les bibliothèques et leur organisation ont un rôle dans la façon dont le savoir est considéré, facile à transporter et à échanger, rapide ou lent d’accès, protégé ou périssable, sacré et inaccessible ou démocratique à la disposition de tous. Par ailleurs, les textes sont-ils accessibles avec un médiateur pour trouver un rouleau un livre ou déchiffrer un codex, les conditions d’éclairage et de lecture sont-elles simplifiées ? Lorsque la conception de bibliothèque passe de l’élite très restreinte d’un temple, d’un monastère, d’une bibliothèque publique à des lecteurs privés, la médiation familiale s’installe avec plus de force. Les livres leur rangement, leur ordonnancement, leur manipulation ou les traces apposés dans et entre les pages produisent la pensée et de la distribution des savoirs.

De nombreuses questions passionnantes sur nos rapports aux savoirs sont égrenées tout au long de l’ouvrage dans la partie relative aux trajets spatiaux du savoir scientifique :

• Comment les processus de territorialisation des savoirs opèrent ? Comment la philosophie et les sciences s’installent-elles dans le paysage social ? Quels archipels savants sont discernables ?
• Par la présence des objets dans les « espaces savants », La question de l’énonciation est évoquée entre l’agencement conceptualisé de Deleuze et Guattari et la théorie de l’acteur réseau de Bruno Latour ? Quelles prises a l’espace sur la pensée ?
• L’approche matérielle des savoirs invite à reconsidérer le lien entre voir et savoir. Comment le regard organise, hiérarchise, classe, désigne, assemble et disjoint ?
• L’enquête de terrain, autre lieu de fabrication de la science renvoie aux savoirs faire langagiers aux aspects non verbaux et non intentionnels de la communication ?
• Des questions se posent également sur le rôle des liens distants entre savants, quel rôle jouent les infrastructures postales, les possibilités de circulations des données ? Que nous apprennent l matérialité des correspondances ?
• Le rôle de l’image est également questionné comme élément de preuve ou de démonstration, la conquête d’une légitimité expérimentale de l’image par la mise en scène de l’expérience ouvre à un nouveau champ de représentation.
• La question des collections d’objets ouvre ou précède une pratique de savoir encyclopédique qui se donne à voir. Plus un article est repris plus il semble vrai semble nous dire les régimes actuels de vérité. 

La dernière partie évoque les gestes de la science et évoque la corporéité des savants A force d’observer les savants sur leur lit, debout à leur pupitre ou à leur paillasse ou encore couché sur leur lit, y a-t-il une primauté du corps  dans la capacité à produire des savoirs ?

Un ouvrage de 426  pages qui se lit comme une enquête historique et intime de la vie des savants avec de magnifiques illustrations pour nous donner à voir ces savoirs en train de se faire. De riches index de noms, de thèmes et des lieux renforcent encore l’érudition du texte.