Si le capitalisme devient cognitif, si nous entrons bien dans une société de la connaissance, alors l’essai de Philippe Meirieu spécialiste du système éducatif français et de Pierre Frackowiak ancien instituteur et inspecteur de l’Education Nationale arrive fort à propos. Au-delà des discours convenus sur le rôle central de l’éducation, la question posée du lien entre éducation et projet de société exprime toutes les ambiguïtés des choix orientant le système éducatif et des jeux des différents acteurs du système. Il planerait sur la situation actuelle plusieurs fantômes, tout d’abord celui de l’école de la troisième république et de ses « hussards noirs », celui de mai 68, et enfin celui d’une idéologie de l’élite façonnant le système à son usage. En s’appuyant sur l’analyse d’Hannah Arendt, trois conditions seraient possibles pour fonder une société démocratique qui place l’éducation au cœur de son projet : tout d’abord une société éducative devrait s’efforcer de rendre accessibles tous les savoirs fondamentaux qui permettent de comprendre le monde, ensuite il s’agirait que la société passe d’une utopie de la fixité à une autre de la mobilité, enfin il s’agirait de faire vivre ensemble instruction et émancipation. Plusieurs thèmes étayent la réflexion sur le système tels que le déni de la pédagogie, l’indépassable raisonnement en termes de classe (homogène ou hétérogène), les ravages de l’hypocrisie consistant à proclamer l’égalité et à faire l’inverse, notamment en transformant les victimes d’échec en responsable. Les auteurs en viennent à demander plus de fermeté sur les finalités et plus de liberté sur les modalités, une réflexion plus approfondie pour passer de l’égalité des chances à l’égalité des droits. Ils mettent en garde leur lecteur sur l’entrée du libéralisme non seulement dans la gestion des établissements mais encore dans les pulsions d’achats qui entrent dés le plus jeune âge en contradiction avec les valeurs fondamentales de l’éducation. Ce qui se joue n’est rien de moins que le développement de la personne et de la démocratie. Ce que révèle cet essai, c’est avant tout la charge idéologique du fait éducatif. La méfiance instinctive des auteurs sur le lien entre société totalitaire et éducation leur fait affirmer qu’une société démocratique peut se développer à la condition d’une approche non dogmatique de l’éducation. Les axes d’une évolution passeraient pour les auteurs par un dépassement des clivages politiques et un accord sur des valeurs communes, mais aussi par une libération des enseignants de leur propension naturelle à résister au changement. Les entreprises ne sauraient rester indifférentes dans les débats en cours car elles reçoivent in fine les individus formés dans les écoles, or si ce qui se met en place est une éducation parallèle d’individus qui ne se croisent pas, la rencontre tardive risque de s’avérer difficile une fois le seuil de la porte de l’entreprise franchie, et les problèmes de management.