Introduction
La crise actuelle serait non seulement financière et économique mais également une crise de valeur et des identités. La sortie de crise par l’innovation est un scénario déjà pointé par la conférence de Lisbonne. Un capitalisme 2.0 basée sur l’innovation notamment technologique pourrait être un nouveau moteur de la croissance. Pour que celui-ci prenne le relais l’innovation ne devra pas seulement être technique, mais également sociale organisationnelle et éducative. L’éducation supérieure et la formation continue des salariés sont souvent appréhendés comme un facteur clé des économies en croissance. Les 500 000 ingénieurs chinois ou les 100 000 diplômés de MBA Indiens formés chaque année contribuent certainement à la révolution économique de ces pays. La formation continue participe à un entretien et à une élévation constante des compétences nécessaires aux évolutions désormais constantes du marché..Qu’entend-on par formation continue ? En France, l’idée de formation continue est souvent limitée à la question de l’imputabilité de l’obligation légale de dépense en formation. Cette perspective limite la formation à sa dimension formelle et occulte nombre de pratiques informelles d’apprentissage. Cros et Adamczewski, (1996p. 20) définissent l’innovation en formation comme : «Un processus pluridimensionnel qui met en communication des auteurs et des acteurs, dans une aventure, dans une incertitude collective ; ce qui vient et advient de cette incertitude est son objet, son inquiétude et sa promesse». La formation ne saurait se limiter à ce qui se passe dans une salle de formation. L’apprenance décrite par Carré (2005) engage les individus et les organisations dans un apprentissage au détour de chaque situation vécue et pas seulement celles prévues à cet effet. Ce point de vue change la façon de penser l’innovation et induit l’idée d’environnement d’apprentissage plus que la promotion d’une pratique par un agent isolé de changement.
Etat des questions sur l’innovation pédagogique et la formation
L’innovation en formation ne cesse d’interroger. La figure des grands pédagogues interpelle Dewey, Rogers, Montessori, Freinet, pour n’en citer que quelques uns, étaient-ils des innovateurs ou simplement des praticiens cherchant à résoudre des problèmes concrets ? Il y aurait beaucoup à explorer en matière de sociologie des innovations : qui sont les innovateurs en formation : les usagers détournant les usages à leur profit, les promoteurs de dispositifs, les pionniers dans des méthodes originales, ou encore les sponsors soutenant matériellement les approches nouvelles ? Les courants d’innovation se sont ils développés par linéarité organisée ou rupture émergente ? Les rapports aux savoirs d’une époque conditionnent-ils les possibilités d’innovation ? Il y a plusieurs façons de cerner un champ d’étude et de répondre à ces questions. La plus naturelle au chercheur semble être la collecte exhaustive de ce qui a été produit à propos d’une question. C’est ce qui a été fait par Béchard (2002) pour l’enseignement supérieur. Il relève sur les banques de données bibliographiques NOVA et FRANCIS pour la période 1984 à 2000, 180 articles répondant simultanément aux descripteurs «enseignement supérieur» et «innovation pédagogique». Ce que donne à voir de plus saillant cette investigation c’est l’apparition du travail collaboratif, la mise en œuvre de l’hypermédia, et utilisation intensive de l’internet[1], Si l’auteur se focalise sur quelques facteurs techniques et sociaux une approche comparative de deux textes distants de 35 ans traitant d’innovation en éducation et en formation révèle qu’au-delà de l’idée de facteur ou .d’agents d’innovation c’est tout un contexte qui se met en mouvement.
Figure 1 : Tableau comparé des visions de l’innovation en formation à 35 ans d’écart
Si les 2 textes adoptent l’approche multi-niveaux ou la difficulté de créer ou d’implanter des changements, des différences sont perceptibles. Alors que le premier texte donne une place majeure à un acteur central agissant à distance sur un corps social, le deuxième se situe dans une approche horizontale dans laquelle les praticiens cherchent à répondre à leurs problèmes. L’approche politique et l’approche pratique semble ici s’opposer.
Formes d’innovation en formation
Cros (OCDE 1999 p65-81) distingue 3 conceptions politiques de l’innovation en formation. La première date des années 60/70. Face à une école gardienne des traditions, l’innovation se veut contestataire et propose une nouvelle société. La deuxième période irait de 1980 à 1990 elle laisserait voir la montée d’un individu citoyen et s’inscrirait dans un mouvement de décentralisation de l’état autorisant la mise en place de dispositifs innovants. A partir de 1991 l’innovation deviendrait un impératif professionnel. L’apparition d’internet à cette période va démultiplier les possibilités. Il est encore possible de distinguer les innovations par leur nature technique, curriculaire relationnelle, organisationnelle ou d’usage. Par ailleurs, toujours selon Cros (OCDE 1999) les innovations en formation se caractérisent par leurs modalités d’implantation. Il est possible de distinguer l’innovation par recherche-développement-diffusion-adoption. Cette modalité s’appuie sur la vision linéaire et industrielle de la division du travail. Le modèle épidémiologique des années 80 suppose qu’une innovation en formation affecterait les individus comme le ferait une épidémie de peste ou de choléra. Des innovateurs pionniers diffuseraient de nouveaux usages. Cependant, il n’est pas établi que se soient les pratiques ou les idées qui soient contagieuses, auquel cas la culture jouerait un rôle essentiel. Le modèle de l’interactionnisme social ou jeu des influences s’attache au niveau social et aux effets d’agrégation. Les réseaux personnels et de communication jouent ici les principaux rôles. Le modèle de l’institutionnalisation montre comment une institution reprend à son compte une innovation et en assure la généralisation. Enfin, le modèle de la recherche-action repose sur un modèle ou plusieurs partenaires tels que des chercheurs et des praticiens coopèrent et dans lequel la différence d’objectifs produit des pratiques inédites.
Exemples d’innovation et d’innovateurs
L’innovation en formation actuelle appelle à des usages du e-learning de la téléphonie, et de l’internet mobile. Elle s’appuie aussi une horizontalisation des rapports de formation avec la déclinaison en training-group ou groupes d’échange des pratiques. La mise en place d’atelier pédagogique personnalisés ou de centres de ressources dans les entreprises constitue un exemple d’innovation organisationnelle. La Mission nouvelle qualification promue par Bertrand Shwartz a répondu à une pression sociale. Dernier exemple les approches de type problem based learning s’intéressent à l’enseignement supérieur et offrent une méthode packagée pour réduire les temps de face à face et dynamiser les apprentissages. Enfin, l’entreprise a bien compris le rôle joué par les situations et les contextes et essaye par le moyen des universités d’entreprise ou des organisations apprenantes de créer des conditions culturelles et organisationnelles d’un développement de l’apprenance (Belet 2003).
Conclusion
Plusieurs facteurs sont repérés comme facilitant l’émergence d’innovation en formation. Tout d’abord les compétences, attitudes, postures des innovateurs apprenants et appreneurs. Ensuite, l’environnement. Celui-ci va de l’équipe « milieu abrasif » offrant des résistances à l’individu dans sa façon d’agir, de l‘organisation capacitante autorisant ou non des explorations jusqu’à la ville apprenante. Les réseaux de passeurs de création d’idées et les systèmes qui les portent sont révélés par les mobilités intersectorielles ou interprofessionnelles. Les idées circulent et s’hybrident avec les hommes qui les portent. Les interstices entre environnements (professionnel/personnel, commercial/production, national/international etc.) se font frontière ou passage. L’existence d’une culture d’apprenance, facilite ou non l’autonomie autorisant de nouvelles manières de faire. Les compétences informationnelles découlant du socle minimum des savoirs conditionnent pour de longues périodes de la vie la capacité d’apprendre à apprendre. La part de vide et d’incertitudes dans les processus d’apprentissage, le flou et l’obligation de mener des investigations va, conduire à l’engagement individuel et à la création de manière de se former différente. Enfin, les contraintes économiques poussent à la créativité comme avec les universités dans les murs, le fast-training ou l’organisation de plateaux pédagogiques. Aujourd’hui les opportunités offertes par des réseaux ouverts sociaux ou informatiques conduisent à une plus grande liberté.
BÉCHARD, JP. (2002), L'enseignement supérieur et les innovations pédagogiques: une recension des écrits Cahier de recherche OIPG no 2002-001 Janvier 2002
BELET, D. (2003), Les organisations apprenantes. Paris : Dunod.
CARRE, P. (2005), L’apprenance. Paris : Dunod.
CROS, F. (2007), L'agir innovationnel : entre créativité et formation. Bruxelles De Boeck.
CROS, F. ADAMCZEWSKI, G. (1996), L’innovation en éducation et en formation. Bruxelles De Boeck.
HUBERMAN, AM (1973), Comment s'opèrent les changements en éducation : contribution à l'étude de l'innovation. Unesco
OCDE (1999), Les écoles innovantes. Les éditions de l'OCDE. Les éditions de l'OCDE.
[1] Par ordre d’importance, nous trouvons des innovations reliées à l’utilisation des ordinateurs (77), des innovations centrées sur le déploiement de certaines habiletés chez les étudiants (45) et d’innovations dédiées aux projets d’équipe et à l’apprentissage coopératif (40). Suivent les présentations orales des étudiants en individuel ou en équipe (16), les enseignements magistraux et les séminaires interactifs (16), l’apprentissage basé sur le travail (16), l’apprentissage par problèmes (16), l’apprentissage basé sur les ressources didactiques (14), l’apprentissage ouvert et à distance (12) et le tutorat par les pairs ou évaluation par les pairs (9).
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Huberman, M. (1973) Comment s’opèrent les changements en éducation : contribution à l’étude de l’innovation. Paris : UNESCO |
Cros, F. (2007) L’agir innovationel : entre créativité et formation. Bruxelles : De Boeck. |
Enjeux de l’ouvrage |
Eclairage des politiques publiques |
Développement de nouvelles professionnalités et de nouveaux savoirs |
Protagonistes |
Agents de changement, école, administrateur |
Acteurs innovateurs, université, individu dans son action |
Vision de l’innovation |
Processus de changements dans un système social |
Réforme, processus transformationnel, co-construction, renversement des valeurs |
Facteurs clés |
Pression extérieure à l’école, comportements des enseignants et des administrateurs, caractéristique des innovateurs (jeunes, statut social plus élevé, confiance en soi, acceptation du risque, sociabilité) |
Analyse des pratiques et réflexivité, parole donnée aux praticiens, conscientisation des actes professionnels, agir innovationel, entente concertation avec les plans des autres, visée illocutoire, existence d’un monde vécu, transcendance immanente |
Façon d’aborder la question |
Les études de cas prises dans une variété de contextes - modèle de recherche et développement - modèle d’interaction sociale - modèle de résolution de problème |
Une réponse à des questions pratiques au cœur des questions identitaires |
Implantation de l’innovation |
Implantation top-down qui se diffuse lentement |
Négociation et échanges intercatégoriel |
A paraitre prochainement chez ESF "Former, se former et apprendre à l'ère du numérique"