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APPRENDRE AUTREMENT

APPRENDRE AUTREMENT

APPRENDRE AUTREMENT est le blog dédié aux approches innovantes de la formation dans les organisations


L'introspection professionnelle

Publié par CRISTOL DENIS sur 1 Décembre 2010, 08:47am

Catégories : #Apprendre

 

 

Par Denis CRISTOL Responsable de la formation continue – Docteur es sciences de l’éducation

Et Cécile DE CALAN Consultante

Résumé

Ce texte vise à repérer les points communs, les enjeux, les fonctions et les risques d’un ensemble de pratiques ne cessant de se développer dans le champ de l’orientation, de la formation et des activités de travail. Ces pratiques quoique fort différentes ont été regroupées sous l’intitulé d’« introspection professionnelle ». Si les supports et les prétextes de l’intervention d’autrui et du travail sur soi varient, des liens se dessinent dans une société devenant réflexive. La première partie de ce texte va pointer le contexte de transformation des identités, adopter un regard sociologique et décrire les transformations actuelles  justifiant les pratiques et les questions d’actualité à leur sujet. La deuxième partie va s’intéresser à dresser le tableau de ces mêmes pratiques et à en dégager les invariants, fonction, enjeux,  et risques. La conclusion mettra en évidence le rôle croissant du tiers et de la contrepartie de l’introspection professionnelle que nous avons désigné sous le terme d’accompagnement.

Mots clés : introspection professionnelle – accompagnement – réflexivité - soi


La société des individus

Une société incertaine où l'employabilité est renvoyée à la responsabilité individuelle

Le contexte sociétal de la France du début du XXIème siècle influence les questions d'orientation professionnelle au triple niveau des représentations collectives, des modes d'organisations du travail et de répartition des emplois et des systèmes d'éducation et de formation. Guichard et Huteau (2006) décrivent cette époque comme marquée par la montée de l'individualisme, manifeste dans les écrits d’Elias (1991), où l'individu est perçu comme responsable de ce qu'il fait pour lui-même et ses proches. Le collectif n'est plus garant de l'avenir de chacun pas plus que l'individu n'a à se préoccuper du bien commun, en tous cas dans les sociétés occidentales.

Parallèlement le futur est marqué par l'incertitude de pouvoir trouver un emploi stable en même temps que les étayages familiaux se fragilisent comme le démontre Palmade (2003). En matière de choix professionnels, ceci a pour effet de renvoyer toujours plus à l'individu la responsabilité de son projet et de son parcours.

La réduction du temps de travail n'a pas eu pour effet de réduire la force de l'injonction de la société individualiste sur chacun-e de prendre en main son devenir professionnel pour s'y réaliser, au-delà de la survie économique. Paradoxalement, cette injonction se conjugue à une invitation à mieux concilier vie au travail et vie hors travail. De nombreux dispositifs tels que le bilan de compétences, la Validation des Acquis de l'Expérience et le droit individuel à la formation renforcent la responsabilisation des travailleurs dans le maintien de leur employabilité. Les réformes en cours des dispositifs de formation professionnelle ne font qu'accentuer cette tendance, comme en témoignait un colloque organisé en Mars 2008 par l'AFREF sur le thème : «L'individu acteur du développement de ses compétences: responsable ou coupable ».

Ce changement sociétal entraîne une crise des identités, y compris dans le champ professionnel

Dans la Crise des Identités (2000), Dubar analyse l'impact de ces changements sociétaux sur la construction identitaire. Il se réfère à une définition nominaliste de l'identité (par opposition aux essentialistes) qui procède par différenciation et généralisation, et dont l'altérité est une condition nécessaire.

Les premières formes identitaires appelées « communautaires »sont caractérisées par la croyance dans l'existence de groupes (culture, ethnie, nation ou corporation) comme systèmes de places pré-assignées et se reproduisant à l'identique à travers les générations. On voit plus récemment émerger des formes identitaires « sociétaires », composées de collectifs multiples, variables, éphémères auxquels les individus adhèrent pour des périodes limitées et qui leur fournissent des ressources d'identification qu'ils gèrent de manière diverse et provisoire.

L'identification (identité pour soi ou pour autrui) résulte désormais d'un choix personnel et non d'une assignation héritée. Elle peut se faire selon quatre modes:

« 1/ La forme « biographique pour autrui » de type communautaire est celle qui découle de l'inscription des individus dans une lignée générationnelle qui se traduit par son nom (en général le nom du père), un « Moi nominal ». Elle désigne l'appartenance à un groupe local et à sa culture héritée (langues, croyances, traditions). C'est une forme d'identification historiquement très ancienne et qui reste dominante tant que perdure à la fois la suprématie du Nous sur le Je (Elias), des formes enchantées de croyance sur les formes rationnelles (Weber) et les formes pré-capitalistes de production (Marx). On peut l'appeler forme culturelle à condition de prendre ce terme dans un sens ethnologique de mode de vie [..]

2/ La forme « relationnelle pour autrui » se définit d'abord dans et par les interactions au sein d'un système institué et hiérarchisé. Elle se construit sous contraintes d'intégration aux institutions : la famille, l'école, les groupes professionnels, l'État. Elle se définit par des « catégories d'identification » dans les diverses sphères de la vie sociale. C'est une identité qui implique un « Moi socialisé » par la prise de rôles. On peut l'appeler identification statutaire, à condition de se rappeler que dans les sociétés modernes, les statuts et les rôles sont multiples et donc que le Je devient pluriel. [..]

3/ La forme « relationnelle pour soi » est celle qui découle d'une conscience réflexive qui met en œuvre activement un engagement dans un projet ayant un sens subjectif et impliquant l'identification à une association de pairs partageant le même projet. A ce nous composé de proches et de semblables correspond une forme spécifique de Je qu'on peut appeler Soi-même réflexif. C'est la face du Je que chacun désire faire reconnaître par des Autruis « significatifs » appartenant à sa communauté de projet. C'est par exemple l'engagement politique dans un mouvement choisi par conviction et qui constitue « une passion ». C'est l'unité du Je qui est ici concernée, sa capacité discursive à argumenter une identité revendiquée et unificatrice, une identité réflexive. [..]

4/ La forme « biographique pour soi » est celle qui implique la mise en question des identités attribuées et un projet de vie qui s'inscrit dans la durée. C'est « cette histoire que chacun se raconte à soi-même sur ce qu'il est », ce Soi narratif que chacun a besoin de faire reconnaître, non seulement par des Autruis significatifs, mais aussi par des Autruis généralisés. C'est l'indication d'une quête d'authenticité, un processus biographique qui s'accompagne de crises. C'est la continuité d'un Je projeté dans des appartenances successives, perturbé par les changements extérieurs, secoué par les aléas de l'existence. La continuité est celle d'un ethos, ou mieux d'une visée éthique qui donne un sens à l'existence entière. Je l'appellerai, à la suite de Ricoeur, l'identité narrative. » (2000, p 54-55)

Dubar analyse cette crise des identités dans les registres des institutions, familial, éducatif et dans les rapports sociaux de sexe. Concernant l'identité professionnelle, la crise de l'emploi, de la régulation du marché du travail et du sens même du travail questionne l'innovation économique, l'intégration sociale et la production d'identité personnelle. Les identités de métiers n'offrent plus une référence collective basée sur l'intériorisation de normes prégnantes en matière de qualifications, salaires et droits. Dubar reprend les études de l'Ecole de Chicago sur la socialisation professionnelle. Celles-ci mettent en évidence en quoi toute vie professionnelle dans un contexte de changement permanent constitue un parcours (career) traversé par des crises (incertitudes, tournants, épreuves), affronté à des problèmes de définition de soi et de reconnaissance par les autres.

3 formes identitaires sont confrontées à l'individualisation des situations de travail et d'emploi:

-         l'identité catégorielle, inscrite dans la continuité, de type communautaire, peut être défensive, parfois fusionnelle.

-         l'identité d'entreprise, ou modèle négociatoire: produit de l'échange d'une forte contribution aux innovations contre une promesse de promotion interne, a succombé aux rationalisations des années 1990 et au modèle de l'employabilité

-         l'identité de réseau, de type sociétaire, volontaire et incertaine. Ici les collectifs sont très personnalisés, éphémères, centrés sur relations affectives. Les individus anticipent un parcours de mobilités volontaires, où la précarité n'est pas seulement négative, mais aussi « identifiante » par l'exploration d'un milieu professionnel via des expériences courtes mais enrichissantes.

 

L'impératif d'être soi, de se construire, d'être performant peut entraîner des maladies identitaires,   dont témoignent les dépressions et le recours aux stupéfiants. Les ruptures professionnelles entraînent des crises identitaires en perturbant l'image de soi, l'estime de soi, la conception de soi. L'intention du sociologue est d'éclairer en quoi ces crises résultent de chocs biographiques liés à des processus sociaux, impliquant des difficultés matérielles, la mise en cause de modèles identitaires et du système de croyances.

Comment les transitions peuvent participer à la personnalisation ?

Les mobilités professionnelles suscitent une construction ou une transformation identitaire par un travail réflexif et dans l'interaction avec d'autres permettant de dégager le sens des expériences, appartenances et projets. L'intégration d'une nouvelle communauté socio-professionnelle pose la question du processus de socialisation, parfois en conflit avec d'autres aires de vie. Les fonctionnalistes, menés par Merton, privilégient l'adaptation par intériorisation, parfois anticipée, des attentes du nouveau rôle, et conformisation à un modèle préfixé. Mégemont et Baubion-Broye préfèrent insister sur les processus subjectifs de délibération et de choix dans la reconstruction des représentations de soi au sens. « C'est sur la base de délibérations (personnelles et interpersonnelles) qui reposent en partie sur des négociations réelles ou symboliques avec autrui que le sujet livre les significations de ses engagements sociaux. » (2001, p. 19-20). On voit ici un sujet actif dans sa socialisation et capable d'influencer la construction de soi qui s'y joue. En outre une lecture systémique des activités permet de souligner l'enjeu des relations et arbitrages entre le professionnel et les autres engagements du sujet dans sa transformation identitaire.

En résumé, la crise des identités découlerait de la modernité. Plusieurs sociologues tels Giddens (1987) ou  Kaufmann (2007) affirment aujourd’hui que la modernité rendrait l’individu réflexif. « l’homme vit désormais cognitivement en miroir de sa propre vie, il réfléchit, s’analyse jusqu’à transformer son quotidien en objet d’interrogation comparable à l’objet d’expérimentation scientifique en laboratoire » (Kaufmann 2007, p. 65). Mais ils étayent difficilement leurs assertions d’observations quantifiées c’est pourquoi un autre sociologue comme Latour (2007) conteste ce point de vue. Le champ professionnel nous donne l’occasion de vérifier cette question. C’est parce que l’identité est sous tension, qu’il n’y a pas de cadre évident pour guider les choix de l’individu que l’introspection professionnelle tendrait à se développer. Mais de quoi parle t-on quand on évoque cette notion d’introspection et a fortiori d’introspection professionnelle ?

Le tableau des pratiques et de leurs origines

La philosophie classique nous enseigne que nous disposons de 5 sens : la vue, le toucher, le gout et l’odorat. Mais il est important de rappeler que physiologiquement au-delà des 5 sens, nos capteurs sensoriels sont avant tout actifs dans le traitement des signaux  de notre propre corps. Il convient d’ajouter d’autres sensations proprioceptives et intéroceptives, de l’ordre de 80% de nos influx nerveux concernant nos viscères,  nos muscles, dans ce qu’il est convenu d’appeler un mécanisme d’homéostasie (Bagot 1999). Si les sensations nous assaillent, il est possible de poser  l’hypothèse que les pratiques introspectives se soient constituées de longue date pour comprendre et habiter notre monde. Elles se sont développées dans une multiplicité de champs.

La religion est peut être l’un des plus anciens terrains d’application avec les pratiques d’examen de conscience, de méditation, de confession ou de retraite cherchant à mieux se connaitre soi-même. Les pratiques de santé, les psychothérapies ou les pratiques issues de la psychanalyse en sont un deuxième exemple. Il y aurait certainement des observations à faire dans le champ des pratiques créatives, les artistes recherchant ou s’appuyant sur l’enfant qui sommeille en eux. L’introspection est aussi un terrain de prédilection de la philosophie. Le mot introspectif serait d’origine anglaise et ferait son apparition en France au XIX éme siècle dans l’édition du dictionnaire de l’académie de 1841. Selon De la Garanderie (1989), l’idée d’introspection  serait rattachée à la tradition intellectuelle et philosophique de la phénoménologie du XVIII éme siècle. La réflexion sur ses actes est une constante des travaux de Locke, Hume et Stuart Mill. Un lien s’établit entre introspection et philosophie morale. Freud (1961) se saisit de l’introspection comme révélation de soi et surtout de son inconscient. On pense ici à l’auto-analyse de Freud. Mais d’autres philosophes tels que Sartre récusent la possibilité de l’introspection. L’argument est que l’on ne peut être soi-même objet de sa propre connaissance. On pourrait seulement avoir conscience de soi en agissant et en éprouvant le monde, en donnant librement sens à sa vie. Ainsi « Avoir connaissance d’une pomme, c’est implicitement avoir conscience que l’on a connaissance de cette pomme. Avoir connaissance de soi c’est implicitement avoir conscience d’un objet à propos duquel on a connaissance de soi. La validité de l’une des connaissances implique celle de l’autre ». Foucault (2004) explore le souci de soi et l’entretien de soi à partir des pratiques antiques du rapport à soi. Au XX éme siècle ce sont les sciences cognitives qui s’intéressent  à la question de l’introspection. C’est notamment en y adjoignant une dimension méthodologique et systématique qu’Alfred Binet cherche à étayer les bases scientifiques de la psychologie. Il commence par l’introspection de ses propres filles en les interrogeant régulièrement sur ce qui se passe dans leur tête. Piaget élabore le concept de réfléchissement.  Ce modèle d’apprentissage décrit une partie du processus qui peut permettre de comprendre comment le discours sur soi peut être source d’abstraction et de réflexion. Enfin dans le champ de la pédagogie, il est possible de citer De Lagaranderie et son introspection modifiante (1987) dans la veine de l’éducabilité cognitive ou encore Alexander (1996), et sa méthode particulière d’observation de soi à partir de miroirs. Il faut enfin rappeler Varela (Weill-Barais 2007) qui va développer une riche pensée conceptuelle compreannt l’auopoïèse (propriété d’un système à se produire lui-même), l’epoké (capacité à s’arrêter d’agir et à prendre un moment de réflexion en retour sur soi pour donner du sens à ce qui vient de se passer) et l’énaction (cognition incarnée). La pensée de Varela présente l’avantage d’ancrer dans le constat biologique mais forme aussi une source de réflexion sur les pratiques  sociales.

Il est possible de relever l’ensemble sémantique dans lequel s’insère l’introspection comme la réflexivité, la rumination, la réflexion sur soi, l’autocritique, l’investigation de soi, la vie intérieure, le retour sur soi, l’approfondissement de soi, l’attention ou le souci de soi, le bilan, l’exploration, l’observation de soi, la vue intérieure, la rapport ou la conscience de soi. Toutes notions qui nuancent le mouvement de l’attention, et les allers et retours entre soi les autres et les événemetns ou situation. Plusieurs définitions de l’introspection sont mobilisables telles que « l’analyse du sujet par lui-même » ou « l’observation interne ». Le petit Larousse (1972) rappelle les origines du latin introspicere : regarder dans l’intérieur. Etude de la conscience par elle-même.

L’introspection dont il est question ici est qualifiée de professionnelle. Ce choix résulte de l’observation d’un ensemble de pratiques se développant aux confins de trois champs : l’activité, la formation et l’orientation. L’introspection professionnelle se distingue dans ses acceptions formelles c'est-à-dire utilisant une méthodologie et mobilisant un tiers ou bien informelles c'est-à-dire  se produisant à propos de la réalisation d’activité. En ce qui concerne les pratiques formelles elles poursuivent des finalités diverses ainsi en est-il de :

-         La VAE et la VAP,

-         Les bilans de compétences, les bilans de compétences approfondis, les bilans de carrières, les bilans d’orientation,

-         Le coaching, la supervision,

-         Les évaluations à 360°,

-         Les groupes d’échange de pratiques,

-         Les histoires de vies et biographies éducatives.

L’essai de panorama des pratiques d’introspections professionnelles se limitera donc aux pratiques identifiées parce qu’elles font l’objet d’un suivi à des fins de politiques éducatives ou formatives ou à des fins de financement.

Source :  Cristol – Jeudi de l’AFREF 16/9/2010

Ces pratiques sont connues et décrites par des ouvrages, des analyses, des articles de recherches. Elles tiennent pour point commun de nécessiter un tiers, accompagnateur, conseiller ou coach, s’inscrivant dans une maïeutique, ou des formes d’enquêtes. Elles  s’appuient sur des approches variées telles que des approches systémiques, l’écoute (Rogérienne), la process-communication, les inventaires de personnalité, la psychanalyse, la PNL, l’AT, la gestalt ou encore la gestion mentale.

Au-delà d’un tableau des pratiques formelles d’introspection, il convient de relever qu’il existe des pratiques informelles échappant à une comptabilisation et s’avèrant difficiles à appréhender.  Elles sont insaisissables car dispersées, et aléatoires. Plusieurs indices empiriques permettent de les situer à l’occasion d’activités requérant plus spécialement des interactions avec les autres et engagent  des apprentissages par essai-erreur. Ainsi en est –il par exemple des activités :

-         De management d’équipe,

-         Des professionnels de santé,

-         Des professionnels du commerce et de la négociation,

-         Des professionnels du conseil.

Dans le praticien réflexif de Schön (1994) l’illustration de pratique informelle d’introspection professionnelle est donnée à partir du cas des managers. Dans nombre de cas,  cette introspection est contrainte par la situation personnelle à l’égard de l’emploi (cas d’une perte d’emploi ou d’une mobilité), ou par la nature de fonctions professionnelles dont les activités s’apprennent  peu ou mal en formation initiale, eu égard à la variété des situations à traiter.

Les fonctions que l’on peut prêter à l’introspection professionnelle sont elles aussi multiples.

- la fonction de choix et de réalisation de soi, d’agrandissement du sens  et d’orientation dans sa vie,

- la fonction d'étayage de soi, de son identité, de réassurance, de protection et de (re) narcissisation, de réconciliation avec une histoire personnelle,

- la fonction d’adaptation à une injonction de subjectivité en lien avec la transformation du monde bousculant les cadres de références,

- la fonction d’excavation des savoirs, de professionnalisation de ses pratiques par une observation attentive du reflet de soi dans l’action conduisant à la maîtrise du  geste intérieur (selon le mot d’Yves Clot)

Les risques de l’introspection relevés sont nombreux. Le premier risque soulevé est celui de manipulation. L’influence de l’autre à son insu apparaîtrait quand la situation où s’insère l’introspection comprendrait des rapports de pouvoir. Ce qui peut se produire lorsque l’interaction avec un tiers accompagnateur (coach, conseiller de bilan de compétence, accompagnateur VAE) exacerbe des enjeux économiques, institutionnels, de réputation. Il est à noter que la manipulation n’est pas unidirectionnelle et que conseiller comme conseillant sont potentiellement objet ou sujet de manipulation. La psychanalyse a par exemple élaborée toute une théorie du transfert à ce sujet.

Une deuxième catégorie de risque existe autour des personnes dont les ressources langagières sont plus faibles. L’introspection procède d’un éclaircissement de soi et de ses actes d’un accès à une conscience par l’élaboration langagière, instrumentée ou non. Dés lors la capacité avérée ou défaillante  de conceptualisation, obère les possibilités de distanciation à soi nécessaire pour comprendre son incidence dans l’action. Dans l’exemple de la VAE, l’introspection demandée conduit imanquablement à un travail sur les capacités d’expression seules à même de garantir une distinction entre soi et la situation dans lequel ce soi est impliqué. Dans cet ensemble la preuve de l’acquis est une expression verbale d’un enchaînement situant l’individu vis-à-vis de son action. L’une des difficultés repérée de rédaction d’un dossier de VAE étant de confronter sa vision de soi en action avec un référentiel socialement normée dans un système linguistique et de dégager des éléments signifiants pour prouver que l’individu n’est pas seulement dans le flux de l’action mais qu’il exerce une influence sur elle.

Un troisième risque perceptible réside dans la façon dont les pratiques introspectives sont introduites. Selon l’usage habituel ou artificiel dans une culture donnée les effets peuvent être différemment reçus. Une introduction dans un environnement non préparé peut provoquer des réactions et des incompréhensions. Par exemple si dans une culture protestante le lien direct avec la bible et dieu et privilégié et fait l’objet d’un apprentissage dans la prise de repères du rôle du tiers, le rôle du tiers procède d’un tout autre sens dans une culture catholique. Dans un tel contexte la figure de l’autre procède de différence dans une hiérarchie de rapport, la place d’une figure de référence telle que celle du pasteur ou du prêtre est différente. Dès lors la posture d’un coach, d’un conseil ne revêt pas le même sens tacite, au sein ou dessus de la communauté.

Un quatrième risque existe selon le fait initiateur de l’introspection. L’introspection quand elle est conduite  sous l’impulsion d’une organisation peut se faire intrusion. La remise en  question de soi-même par l’extérieur, « l’identité pour soi » est alors mise en discussion. L’identité attribuée par cette organisation vient créer une perturbation, ou créer une prise de conscience. L’individu peut alors être pris dans des conflits ou des tensions destructrices, si un cadre protecteur n’est pas posé.

Le cinquième risque que nous percevons est celui « d’ego-building » c'est-à-dire de faire de soi un objet d’attention exclusif et de gonflement se conformant à une utilité sociale (la carrière ou le paraître), ou à l’adoption d’un masque ou d’un ensemble de rôles.

Conclusion

En conclusion, si l’introspection professionnelle va continuer de se développer en lien avec les incertitudes et les transformations du monde obligeant chacun à se reposer la question de sa place et de sa trajectoire, le rôle de l’accompagnement va également croître. Un gourou du coaching prévoyait un coach pour 50 habitants. Si cette formule choc nous suggère plus d’un million de coachs en France et semble exagérée, il n’en demeure pas moins vrai que tant formellement, qu’informellement les pratiques d’introspections professionnelles gagnent du terrain, que les identités en crise continuent à se débattre avec leur réalité (Dubar 2000).

Il est aussi remarquable que si des approches d’accompagnement se développent c’est en complémentarité parfois en concurrence avec des approches plus traditionnelles de formation mettant au prise un groupe et un formateur. Il convient alors de noter que la dimension pédagogique des processus d’accompagnement présente des bénéfices, notamment celui de faire passer le formateur d’une posture d’enseignant à une posture plus centré sur l’écoute. Elle requière le développement de compétences nouvelles celle d’aider l’autre sans être intrusif.

Vu l’ampleur du phénomène, il convient certainement de se poser des questions sur l’ensemble des pratiques d’accompagnement ayant cours. Leur supervision et leur encadrement semble d’une grande actualité aussi bien dans les champs de l’orientation, de la formation que de l’activité même du travail, tant les risques soulignés présentent d’importantes conséquences individuelles et collectives. Il devient plus que nécessaire de s’assurer de la qualité de la formation, et de l’éthiques des nouveaux professionnels, s’installant dans un champ de pratique sociale en croissance.  En effet si les influences acceptés dans les rapports sociaux sont fait de plus d’horizontalité et de proximité au détriment de rapports plus verticaux, la régulation collective peinera à s’exercer.

Bibliographie :

ALEXANDER, FM. (1996), L’usage de soi. Paris : Contredanse.

Bagot, D. (1999), Information, sensation, perception, Paris : Armand Colin.

De la Garanderie, A. (1989), Défense et illustration de l’introspection. Paris : Centurion.

De la Garanderie, A. (1987) Les Processus mentaux dans l'acte de compréhension. Revue: Cahiers Binet et Simon p 3 à 29

Dubar, C. (2000), La crise des identités : l’interprétation d’une mutation, Paris : Presses Universitaires de France.

ELIAS, N. (1991), La société des individus. Paris : Fayard.

Foucault, M. (2004), Philosophie : anthologie, Paris : Gallimard.

Freud, S. (1961), Introduction à la psychanalyse, Paris : Payot.

Giddens, A. (1987), La constitution de la société, Paris : Presses Universitaires de France.

GUICHARD, J. (2004), Se faire soi OSP N°33.

GUICHARD, J, HUTEAU (2006), Psychologie de l’orientation. Paris : Dunod.

HALL, DT (1996), Protean Careers of the 21st Century. Academy of Management Executive, 10/N°4

Kaufmann, JC. (2007), L’enquête et ses méthodes : entretien compréhensif, Paris : Armand Colin

LATOUR, B. (2007), Changer de société, refaire de la sociologie. Paris : La découverte.

Librairie Larousse (1972), Le petit Larousse en couleur. Paris : Editions Larousse.

MALRIEU, Ph. (2003), La construction du sens dans les dires autobiographiques. Paris : ERES.

Mégemont, JL, Baubion-Broye, A. (2001), Dynamiques identitaires et représentations de soi dans une phase de transition professionnelle et personnelle. Connexions N°76/2.

Palmade, J. (2003),     L'incertitude comme norme. Paris : PUF

Schön, DA. (1994), Le praticien réflexif : À la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel, Montréal : Editions Logiques.

Weill-Barais, A. (2007), L’homme cognitif. Paris : PUF.


[1] L’estimation grossière proposée est certainement une fourchette basse. Elle procède de la division du CA évalué de la SF Coach en millions d’euros pour le marché du coaching  par le prix de vente moyen estimée d’une mission par la même SF Coach.

Année de création

Nom de la pratique

Personnes concernées

Flux annuel

Source de référence

1985

Validation des acquis professionnels

Salariés les moins qualifiés

14 500

MEN (2008)

1986

Bilan de compétences

 

Bilan de compétences approfondi

Salariés (majorité d’employé et de femmes)

Demandeurs d’emplois

50 000

 

155 000

DARES (2005)

2002

Validation des acquis de l’expérience

Salariés (majorité d’employé et de femmes)

26 000

Rapport Besson (2008)

Années  80

Coaching individuel

Salariés du CAC 40, cadres, dirigeants, sportifs, créateurs d’entreprises, étudiants

5 000 à 15 000[1]

SF Coach (2005)

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