Dans l’histoire de la fabrication, plusieurs séquences sont mises en exergue.
Tout d’abord, la formation initiale d’ingénieur par apprentissage aborde le management « une formation assez novatrice », « j’ai eu un plus de ce côté-là » et permet à la narratrice de faire face à des personnalités jugées difficiles, « des techniciens qui ont tous entre 25 et 40 ans d’ancienneté », le caractère de l’un est même qualifié « à la limite de la folie », et aux changements d’organisation qui se mettent en place. Ainsi la réorganisation du laboratoire « un système archaïque en termes de management, des personnes et des projets » se présente comme une épreuve à surmonter : un risque et une opportunité.
Ensuite la socialisation professionnelle se déroule dans un environnement présenté comme hostile « j’avais un manager qui était très lunatique, qui était très caractériel. C’était un peu en réunion qu’il faisait pleurer des gens. C’était un peu un tyran ». Les problèmes humains rencontrés sont passés sous silence car la culture latente prône le « pas de vague » dans le contexte scientifique prédominant « l’importance n’est pas donné au management ». L’échange sur les problèmes humains est considéré comme « tabou ». Les modèles d’identification sont pauvres « je n’ai pas eu de modèle en termes de personne vers qui je voulais tendre, plutôt des modèles de gens vers qui je ne voulais pas tendre ». La féminité et la jeunesse apparaissent comme deux handicaps de plus à surmonter pour s’imposer : « Je suis arrivé j’avais 20 ans en tant qu’apprentie j’étais une des rares femmes de cet âge là puisqu’à l’époque on ne tournait qu’avec des militaires » « en fait j’ai du quand même m’imposer en tant que femme ». L’étayage extra-professionnel s’avère déterminant. La sœur jumelle psychothérapeute est appelée à la rescousse et prodigue soutien et conseils.
Un moment clé de l’histoire est constitué d’une scène qui aurait pu être dramatique. C’est l’occasion d’établir un parallèle entre maternité et croissance managériale « quand j’étais mère, quand j’ai eu mes deux enfants à chaque fois je pense que là ça m’a permis de prendre encore plus confiance en moi, de grandir. » Chaque maternité s’accompagne de nouvelles responsabilités, au risque de trop en faire. Le départ de la tutrice initiale et la prise de responsabilité brusque sur le laboratoire constitue un épisode tragique « c’est à cette période là j’ai trop travaillé. Je ne me suis pas assez ménagé. C’est vrai que j’ai été hospitalisée. J’ai eu un tout petit bébé prématuré. Et là je crois que ça m’a fait prendre conscience de certaines choses aussi. Comme quoi on ne pouvait pas réparer toutes les erreurs des autres ». Tout arrive en même temps : responsabilité maternelle et managériale et oblige à apprendre la délégation, car le laboratoire doit continuer à tourner même pendant l’hospitalisation.
Les épreuves rencontrées ont permis au caractère de se forger, à la fabrication de se faire. Même si le caractère managérial de la fonction est peu valorisé. « Finalement est ce que ça existe d’être manager ? Enfin je en sais pas si c’est un rôle en soi ou si ce n’est qu’une ligne de la fiche de fonction d’un ingénieur de recherche responsable de laboratoire. »