Il devient de plus en plus courant de participer à un team-building. La retraite d’une équipe de foot dans un camp de montagne pour se découvrir mutuellement à l’occasion d’activité en pleine nature est une pratique en pleine expansion. Faire équipe en cuisinant, en bâtissant des ponts ou des tours. Apprendre la confiance en se laissant tomber dans les bras de son co-équipier serait même devenu banal. Après le saut à l’élastique ou la randonné en kayak, le paint-ball et les percussions connaissent leur heure de gloire. Pourquoi observe t-on ce qui semble être une accélération d’un phénomène pédagogique ? Peut être parce que les formes d’organisation actuelles demandant plus de transversalité se satisfont mal de travail solitaire. Les entreprises réputées organisées sous forme de pyramides ont entamé leur mue. C’est ainsi que l’organisation de processus de travail horizontaux censée fluidifier les interactions et nous sortir des silos exige une implication plus soutenue d’une multiplicité d’acteurs disjoints par les organigrammes et les fonctions formellement attribuées. Dans le même temps, plus l’individualisme sépare les individus, plus la demande de cohésion et de travail en équipe se fait ressentir. Les deux tendances se rejoignent et se font échos. La recherche d’efficacité des entreprises d’une part, de nouvelles manières des individus de faire société d’autre part.
Le travail en équipe est donc tendance. Avec les exploits de collectifs sportifs de haut niveau, le potentiel de l’équipe excite l’imagination des dirigeants qui voient en son pouvoir d’attraction le moyen de créer les conditions de l’appartenance à l’esprit et à la culture d’entreprise. L’équipe est parée de vertus positives quant à l’atteinte d’une performance. Grace à une mystérieuse force collective 1+1=3, la synergie attendue doit créer de nouvelles richesses. C’est pourquoi le « team-design » (fondation de l’équipe), le « team building » (construction de l’équipe) et le « team-development » (maturation de l’équipe performante) sont aussi en vogue. Toutes les équipes sont potentiellement concernées. Il en est ainsi des équipes de directions, des équipes de managers, des équipes commerciales, des équipes projets et de tous les collectifs constitués formellement ou non qui participent à la réalisation d’un but.
Sous l’appellation de « team-building », il est possible de repérer nombres de pratiques le plus souvent ludiques censées faciliter le passage d’un ensemble d’individus isolés, vers un groupe plus ou moins lié, à une équipe soudée puis une équipe hautement performante. L’offre en la matière semble un nouvel eldorado pour des agences de communications et d’incentive, les écoles de commerces et pour les cabinets de formation en mal d’innovation. Les exercices et jeux qu’il est possible de proposer visent plusieurs dimensions
- Le sentiment d’appartenance
- La solidarité
- La connaissance de l’autre
- L’interculturel, l’altérité
- L’esprit d’équipe
- La communication interpersonnelle
- La prise de décision collective
- La cohésion
- Le leadership
- Le développement personnel
Toutes ces dimensions sont régulièrement examinées dans l’histoire de l’humanité, par les philosophes, les écrivains, les penseurs de toutes sortes. Le courant dit des relations humaines et des auteurs tels que Lewin, Mayo, Herzberg, avait déjà exploré ces dimensions au sein des petits groupes. S’inspirant de leurs travaux les pratiques des training-groups s’étaient développées. Les formes que prennent aujourd’hui les team-buildings puisent dans des activités divertissantes différenciées qui se pratiquent tant en extérieur qu’en intérieur. Il est ainsi possible de lister :
- Les activités sportives ou mécaniques,
- Les activités artistiques ou culturelles (chant, danse, peinture, musique, théâtre),
- Les réalisations audiovisuelles,
- Les jeux de coordination ou d’adresse,
- La mobilisation en groupe des corps,
- La résolution de problème,
- La réalisation de performance collective,
- Les jeux de langage et de réflexion,
- Les jeux culinaires,
- Les approches expérientielles,
- La création de parfum.
Il est cependant important de noter que toutes ces activités concourent de façon différente à la création de l’équipe. Deux mots désignent en français cette forme de travail actuellement recherchée : le premier est collaboration, le second est coopération. A priori, ces deux termes pourraient sembler équivalents, il n’en est rien. Si le premier mot évoque une intention libre de s’engager dans le collectif et d’élaborer ensemble, le second fait référence à une organisation structurée et des tâches à répartir. On vit une collaboration alors qu’on organise une coopération. Voilà deux façons de travailler ensemble qui s’appuient sur des liens librement partagés avec un autre lorsqu’il ya collaboration, ou bien qui s’orientent vers la réussite d’une entreprise commune s’il s’agit de coopérer. Dans une visée collaborative, il n’y a pas de rôles répartis a priori, chacun co-construit le sens, enrichit l’objectif et s’engage. Dans une visée coopérative, chacun se charge d’une partie de la tâche, une division du travail se négocie et se rationnalise. Opérer cette distinction permet de mieux percevoir la finalité de jeux, de pratiques et d’exercices visant sans plus de précision à « apprendre à travailler en équipe ». La vision de l’entreprise se trouvera différemment affectée selon l’orientation choisie. Incidemment certains exercices plus fusionnels favorisent l’apprentissage de la collaboration alors que d’autres s’efforçant de percevoir des différences ou des styles de comportements s’attachent à développer la coopération.
Il reste à signaler deux risques. Tout d’abord un risque propre à l’edutainment (éducation par le jeu). Les individus actuels seraient tellement habitués à l’amusement qu’un contenu éducatif, dans lequel il n’y aurait aucune rupture, aucune expérience, aucun divertissement, passerait de moins en moins. Les individus seraient demandeurs de distraction. Dans ce qui peut être perçu comme une dérive l’éducation par le jeu se limiterait au jeu. Il est donc important que les organisateurs de jeux et d’activités en groupe se prévalant d’une intention éducative maîtrisent finement les ressorts de la dynamique de groupe. Car il ne suffit pas de chanter ensemble ou de réussir un challenge sportif pour qu’une équipe apprenne à collaborer ou à coopérer. Ensuite le risque de l’individu de se sentir embrigadé dans des activités fort éloignées de son activité professionnelle et le poussant dans une remise en question personnelle dont il n’est pas toujours demandeur. Dans ce cas les organisateurs ne doivent pas seulement maîtriser la dynamique de groupe, ils doivent aussi être attentifs aux fragilités potentielles de chaque participant.
Pour conclure, que les pratiques de team-building soient à visée collaborative ou coopérative, elles permettent actuellement de rénover l’acte d’apprendre car elles remettent au centre la préoccupation des collectifs. Les pratiques de team-building méritent de se professionnaliser. Le marché du team-building qui s’est mit en place parviendra certainement à trier les pratiques douteuses de pratiques à visée éducatives respectueuses des personnes. Il est à parier que ces pratiques faciliteront l’éclosion de l’entreprise apprenante et qu’elles constitueront grâce aux émotions vécues ensemble le terreau favorable pour un social-learning qui prolongera l’expérience collective sur des espaces, cette fois numérique.