Le savoir vient de prendre d’un seul
coup deux dimensions supplémentaires. A la masse stockable d’un savoir qui se caractérise à partir de deux dimensions : l’épistémologie (les origines), et la finalité (la
destination), voici deux nouvelles dimensions qui s’invitent avec force grâce aux technologies mobiles : la position et le moment d’utilisation.
Selon les deux premières dimensions du savoir, il était possible de s’attacher à la sédimentation et à l’histoire des idées mais aussi aux finalités religieuses, scientifiques, ou pratiques du savoir. Ce mode de classement fonctionnait bien dans la logique de l’empilement tout en produisant de belles régularités par disciplines. Le savoir s’organisait en couches régulières et gardait une belle cohérence. Si dans le temps, les disciplines bougeaient, elles remettaient peu en cause l’agencement antérieur. Des fourches pouvaient se créer des disciplines apparaître mais l’architecture d’ensemble était peu remise en question.
Mais avec internet, le savoir est exacerbé sur deux nouvelles dimensions qui cadrent mal avec une logique d’abscisse et d’ordonnée. L’équation se complexifie. Les trajectoires sont moins maitrisables.
Tout d’abord, le moment d’utilisation du savoir change profondément. Le savoir est convocable n'importe quand. Les usages s’inventent au fur et à mesure. Le futur échappe à la prédiction. Les métiers de demain, les activités humaines sont imprévisibles. La représentation divisée des savoirs d’hier y prépare mal. Leur présentation par couche rend mal compte d’une logique de liens à imaginer. Le moment d’utilisation du savoir lui confère des qualités spécifiques de fluidité et d’association.
Ensuite la position du savoir. Le savoir est accessible partout. Il est sorti des lieux officiels de conservation ou de transmission. Asseyez-vous avec des amis, évoquez un film de Peter Brook de 1989, et aussitôt l’un d’entre eux consulte une base de données sur son téléphone et vous donne un détail comme la durée du film. Il vous annonce « le film durait 2 h 51 ». Cet exemple est démultipliable à l’envie dans une variété de contexte. Le savoir, ici sous forme d’une information brute est convocable dans n'importe quel lieu.
Position et temporalité apportent une qualité de contextualisation au savoir jusqu’alors négligée. L’espace et le temps importent. On le découvre à peine. Cela ressemble au problème de physique dans lequel on ne pouvait pas connaître précisément la vitesse et la position d’une particule car on utilisait des idées anciennes. La métaphore vaut pour le savoir. Si le savoir est bien contextuel, alors il faut revoir et enrichir nos théories de l’apprentissage cognitiviste, behavioriste ou socioconstructiviste et prendre en considération les moments et les lieux du savoir. Il est temps d’envisager le savoir comme un flux et pas seulement comme un stock.