En catimini, sous la forme de confidences, quelques dirigeants se risquent à vous glisser que oui une fois qu’ils ont réussi un concourt très sélectif et intégré une grande école, ils n’ont guère travaillé. Ils chuchotent qu’effectivement la formation MBA d’une prestigieuse école ne leur a pas apporté tout ce à quoi ils s‘attendaient. Le catimini se fait moins discret. D’aucun prennent la plume et commettent des ouvrages. Avec Noiville « j’ai fait HEC et je m’en excuse », une critique frontale s’autorise. D’autres de retours des Amériques rédigent des tribunes dans la presse économique et s’étonnent d’une sélection effrénée, de l’influence définitive d’un diplôme sur une carrière dès 22 ans, ou du manque de reconnaissance de l’expérience professionnelle. Tout ce qui apparaît, avec le recul, comme une arriération et un gâchis Français, un péché idéologique ou la défense d’une classe sociale installée.
Quelques chercheurs enfin, plus rares, essayent de mener des investigations sur le gain éducatif et formatif des grandes écuries. Mais le petit monde élitaire a établit une stratégie de défense bien rôdée : soit les critiques viennent de l’intérieur et elles sont d’emblées suspecté par une présumée rancune, ou un manque de reconnaissance, soit elles viennent de l’extérieur et elles sont jugées mal informées, malintentionnées, infondées et partiales. Dans les deux cas la critique est disqualifiée d’office, alors qu’un peu de discernement viendrait de plus d’humilité.
Mais, petit à petit, le réel gagne du terrain. Trop longtemps la seule force d’une marque éducative était suffisante pour assoir une carrière. L’effet réseau, le halo dont jouissait telle école ou tel professeur tend à se dissiper. Finalement, le plus dur était de réussir un concourt, ou de payer une somme folle pour accéder à petit cercle reconnu. Oui, mais la crise est passée par là. Le doute s’est installé. Les DRH sont de moins en moins enclins à recruter sur le seul crédit du diplôme ou à financer des formations couteuses à leurs cadres alors même qu’eux non plus ne voient pas toujours un impact fort sur le développement de l’entreprise ou la transformation espérée de leurs hauts potentiels. La dénonciation des MBA et autres rampes de lancement définitives progresse. Mais, la défense s’organise tant les enjeux financiers sont élevés. Pensez donc, les plus prestigieuses formations de MBA nécessitent d’investir plusieurs milliers d’euros ; 53 000 euros pour une seule année de formation à l’ESCP par exemple. A écouter les défenseurs de ce qu’il faut bien appeler, « un marché de l’éducation », le standard du MBA serait le « nec plus ultra ». Il donnerait à chaque participant une vision stratégique. Il autoriserait à penser « en dehors de la boîte ».[1] Il permettrait à force de monter et démonter des bilans et comptes de résultats, de maîtriser l’entreprise comme une mécanique. Les grands anciens témoigneraient de réussites spectaculaires. Certes mais les défenseurs se font plus discrets sur les anciens qui ont commis des fautes de direction, qui ne perçoivent plus l’écart grandissant entre leurs paroles et la réalité du commun, entre leurs émoluments vissés sur des standards soit disant internationaux et ce que gagne un smicard.
Il est désormais autorisé de douter du bien fondé du dogme, de rechercher vraiment comment se produit le talent et de placer à leurs justes places les promesses éducatives.