Besnier (2011) rappelle que des théories de la connaissance s'accordent sur la distinction entre le sujet qui connaît et l'objet à connaître. La connaissance aurait une vie extérieure au sujet. Son propos évoque donc une expérience cognitive. Mais, il existe une controverse philosophique sur la connaissance. Les philosophes grecs Platon et Aristote distinguent d’une part l’épistémè et la techné avec lesquelles il s’agit de construire un modèle sur le monde et d’agir sur lui et d’autre part la phronesis et la mètis par lesquelles il s’agit d’habiter le monde. Dans la vision d’un monde construit les connaissances peuvent être écrites, enregistrées, validées, elles renvoient à l’épistémè c'est-à-dire l’idée de formes propositionnelles utilisant des généralisations articulées linguistiquement et à la techné c'est-à-dire à des instructions codifiables et mesurables. Cette codification s’accorde parfaitement des apprentissages formels. Dans la vision d’un monde habité les connaissances sont avant tout vécues éprouvées indissociables de l’expérience. La phronesis renvoie à l’idée de connaissances tacites cultivées inconsciemment à travers les exemples ou gouvernés par des habitus (Bourdieu et Passeron 1970). La phronesis s’invite dans l’idée de développer une sagesse pratique et la mètis dans celle de s’adapter, se fier à l’intuition et la ruse ou l’apprentissage immédiat aux situations telles qu’elles évoluent. Cette fluidité des connaissances renvoie à des apprentissages informels. Mais les apprentissages formels se sont imposés comme moyen privilégié d’acquérir une connaissance. Un rappel historique va nous rappeler pourquoi.
Ce serait au sortir de la renaissance que les pouvoirs humains de connaître se développeraient et marqueraient une rupture avec la synthèse léguée par Aristote aux pères de l'église. La collection des faits, les récits de voyages, les traductions antiques sont réinterrogés. Le doute point quant à l'intelligibilité de la globalité. Une rupture est marquée avec le théologique. La science des hommes s'intéresse au monde visible. La recherche de la vérité et son articulation au divin est une constante des théories de la connaissance à cette période qui nous donnera Nicolas de Cues ou Descartes. L'idée antique que "l'homme est la mesure de toutes les choses de l'existence" établit un lien entre sentir et connaître. Selon les analyses de Husserl, Heidegger ou Merleau-Ponty (1945), le savoir qui désigne un phénomène individuel serait issu de la sensation. Cette idée a deux conséquences. Elle limite l'accord entre les hommes d'une part et engage la dimension ontologique d'autre part. Une définition minimale de la connaissance proposée par Piaget (1967) caractérisant le processus cognitif serait "la mise en relation d'un sujet et d'un objet par le truchement d'une structure opératoire". Ce faisant cette définition nous fait pénétrer dans le monde de la logique. Toute théorie de la connaissance nous ferait évaluer la part qui revient au sujet et celle qui revient à l'objet dans la constitution d'un savoir. Dés lors la réflexion philosophique sur l'acte de connaître s'articule sur la question de savoir si la connaissance n'est que le résultat d'un enregistrement dans le sujet d'information déjà organisées ou bien si elle est produite par le sujet qui possède la faculté d'agencer les données immédiates de la perception. Cette question forme l'opposition entre le réalisme et l'idéalisme et interroge la réceptivité du sujet. L'époque moderne sera marquée par les démonstrations des empiristes (Locke, Berkeley, Hume) et des positivistes. De cette époque subsiste encore l'idée de « l'esprit-seau » qu'il suffirait de remplir à l'aide de nos sens. Cependant cette théorie se heurte vite au constat qu'il ne suffit pas de regarder ou d'entendre pour savoir. Les erreurs qui se glissent dans le processus d’apprentissage jouent un rôle. Au XVIIe siècle la réflexion sur le pouvoir de connaître s'intéresse au rôle de l'expérience. S'opposent alors l'empirisme et le rationalisme : les philosophes soucieux de clarifier les données de l'expérience (Locke) ou ceux tournés vers les certitudes du sujet cognitif (Descartes). La formule de Kant "rien n'est dans l'esprit qui ne vienne des sens [empirisme], si ce n'est l'esprit lui même [rationalisme] », résume le débat. Politiquement l'empirisme est favorable à l'investigation et à l'émancipation pendant que le rationalisme requiert le pouvoir transcendant d'une nature providentielle ou d'un Dieu. Les deux approches mobilisent induction et déduction pour poser leurs raisonnements, avec la proposition de distinguer d'une part des sciences qualifiées de déductives ou rationnelles et des sciences qualifiées d'inductives ou expérimentales.
Approche empirique ou approche rationaliste
Une distinction trop prononcée entre approche empirique et approche rationaliste semble à écarter car si toute connaissance dérive de l'expérience comment expliquer que nos concepts dépassent les renseignements donnés par nos sens? Cette question interroge le principe de causalité des causes et des effets. Les raisonnements scientifiques sont bâtis sur des relations de cause à effet. Ils ont parfois tendance à joindre des phénomènes contigus. En fait les inférences sont souvent le fait de croyances qui passent parfois mal le seuil du temps ou d'une répétition d'expérience. Connaître serait alors avant tout croire. Kant s'efforce d'articuler les raisonnements synthétiques et analytiques. Pendant que les jugements synthétiques lient des intuitions à des concepts, les jugements analytiques lient un prédicat et un sujet sur le mode de l'identité. Avec un jugement synthétique un résultat est signifié, avec un jugement analytique, un résultat est explicité. Les jugements synthétiques se distinguent de la métaphysique car ils satisfont aux conditions de réalisation d'une expérience possible. Pour Kant les objets se proposeraient à notre connaissance et nous devons avoir une intention à leur endroit "nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous mêmes". L'association d'une intuition et d'un concept est indispensable pour que nous apparaisse quelque chose susceptible d'entrer dans la sphère d'une expérience. La façon de résoudre les contradictions entre empiristes et rationalistes ne satisfait pas Popper (1991). Pour lui, une théorie de la connaissance doit être objectiviste. C'est à dire qu'elle interrogera les contenus des conceptions scientifiques d’avantages que les modalités qui les rattachent au sujet connaissant. Popper tout en s'attachant à la théorie antique que la vérité consiste dans la correspondance de nos idées avec la réalité vient apporter un autre élément. Dans le jeu des essais-et-erreurs qui vise à retrouver cette correspondance, une réfutation doit être possible. Un énoncé est réputé scientifique s'il est falsifiable donc réfutable. D'autres approches tenant du behaviorisme viennent écarter l'idée de "l'œil intérieur" et celle que l'esprit serait un miroir de la nature.
Les autres approches de la connaissance
Mais le sujet n’est pas épuisé, on peut construire une épistémologie de la connaissance sur la base de modèle. Ainsi :
- connaître c'est computer : l'ordinateur est pris pour modèle d'explication du fonctionnement de la connaissance
- connaître c'est connecter : le cerveau et la complexité du cerveau est donné en exemple
- connaître par la sélection naturelle : les circuits neuronaux les plus performants sont sélectionnés par la pression de l'environnement ("darwinisme neuronal » de Edelman 1987)
Il est encore possible comme le fait Varela (1976) dans la théorie de l’énaction, de montrer que la coupure entre soi et le monde est surévaluée. Ce qu’étayent les neurobiologistes Rizzalotti et Sinigaglia (2011) avec le concept de neurone-miroir mais également un sociologue tel que Sennet (2010), qui explore la façon dont l’artisan s’oublie dans sa tâche et dans son atelier et dont la main finit par acquérir une sensibilité particulière à sa matière. Cette sensibilité jouerait sur la façon d’être en relation et d’apprendre. Si l’on se réfère à l’idée de connaissances en tant qu’état de celui qui connaît ou chose connue, incidemment selon que les connaissances sont pensées comme un stock codifiable, les institutions éducatives en organisent le transfert, il serait alors question d’apprentissages formels. Si elles sont imaginées comme une incorporation à soi, il s’agit alors de mieux se connaître en action dans le monde. Il serait alors question d’apprentissage informel.
Finalement il est possible de retenir la définition de Legendre (2005) qui stipule qu’une connaissance est « faits, informations, notions, principes, qu’on acquiert grâce à l’étude, à l’observation ou à l’expérience » et ou il distingue deux types de connaissances. Les connaissances explicites qui renvoient à ce que nous pouvons énoncer et communiquer et les connaissances tacites qui renvoient à ce que nous connaissons sans avoir conscience de le connaître. Cette analyse de la connaissance nous renvoie aux formes d’apprentissages formelles et informelles.
L’apprentissage est « l’ensemble des connaissances, capacités professionnelles et/ou compétences qu’un individu a acquises ou est en mesure de démontrer à l’issue d’une action d’apprentissage ». L’apprentissage peut être appréhendé à la façon d’un processus. Il s’agirait de la mise en relation entre un évènement provoqué par l'extérieur (stimulus) et une réaction adéquate du sujet, qui cause un changement de comportement persistant, mesurable, et spécifique. L’apprentissage peut encore être ce qui permet à l’individu de formuler une nouvelle construction mentale ou réviser une construction mentale préalable. En quelque sorte il transformerait une connaissance disponible en un savoir individuel. Selon que les connaissances sont considérées comme un état observable, alors le behaviorisme (Pavlov, Watson, Skinner) fournira des éléments de compréhension des mécanismes d’apprentissages. Si les connaissances sont perçues comme le fruit du travail du cerveau (Bruner, Gagné, Piaget) le cognitivisme sera mobilisé. Mais, si les connaissances ont d’abord une signification sociale alors le constructivisme (Vygotsky) s’impose. Si les connaissances sont appréhendées comme une réflexion sur l’expérience personnelle alors la référence principale est humaniste, (Rogers, Maslow). Enfin si les connaissances sont perçues comme distribuées dans un réseau social alors le connectivisme (Siemens, Downes) fournit des éléments d’explication. Pour finir, il convient de faire une place à la pensée en rupture de Varela (1988) pour lequel la tradition séparant l’homme de son environnement, ou l’action de la pensée est inadéquate. Dans la théorie de l’énaction, connaître c’est faire émerger. La connaissance serait indissociable de l’action.
La connaissance se produit d'abord par l'action en train de se faire et non pas sur la base de représentations internes ou d'interprétations. Il n'y a pas de nature à découvrir mais des sens qui émergent. L'image de la cognition n’est pas un problème à résoudre sur la base de représentations, mais pour prendre une image, un sentier qui se découvre au fur et à mesure du cheminement. Le monde émerge au fur et à mesure. De ce constat l’apprentissage se définit moins comme la faculté de résoudre un problème et plus comme celle de pénétrer un monde à partager. L’apprentissage est alors cette découverte continue.
Ce détour par la théorie de la connaissance est indispensable pour comprendre la survalorisation actuelle des apprentissages formels validés par des diplômes au regard d’apprentissages informels laissés au hasard des expériences singulières et par définition moins contrôlables.Nous sommes capables de concevoir 1 000 000 000 de grains de sable. Nous sommes incapables de les compter.