Gilles Amado se présente comme docteur en psychologie et professeur au groupe HEC et Richard Elsner comme consultant spécialisé en transition de carrière et d’entreprise. Tous deux ont uni leurs plumes pour rendre compte d’un travail de recherche sur la réussite de la prise de poste. Ce travail de recherche s’inscrit dans la continuité des travaux des années 80 de Tom Gilmore[1] dans un contexte américain. Celui-ci s’était donné pour objectif de décrire les processus et étapes du moment charnière constitué par la prise de poste. Le protocole adopté par Amado et Elsner s’organise en deux phases. La première phase s’est déroulée sur 3 ans et demi et a réuni une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et consultants européens. Il s’agissait de conduire une quarantaine d’entretiens auprès de dirigeants, de fonctionnaires et de responsables des ressources humaines dans différents pays européens, pour capter les points de vue des différents acteurs sur les transitions, puis de réaliser 8 études de cas par la méthode d’observation de dirigeants nouvellement nommés et de leur entourage immédiat pendant 6 à 12 mois. A l’issue de cette première phase des conclusions ont été publiées. La deuxième phase a consisté en un travail d’approfondissement, pour mieux repérer les pressions invisibles inhérentes au processus de transition. Une nouvelle série d’entretiens a été menée auprès des responsables de la première phase d’étude pour examiner de nouvelles conclusions, dix dirigeants ont été à nouveau interviewé pour valider les enseignements tirés à froid de l’étude. Enfin l’ouvrage ici commenté rassemble sous un jour nouveau les problématiques et les dilemmes de la prise de fonction. Le premier chapitre rend compte de la démarche par la présentation de 4 cas qui illustrent successivement quatre contextes organisationnels différents : la pérennisation d’une organisation, sa revitalisation, son redressement, ou sa création. Le deuxième chapitre rend compte des tensions intrapersonnelles ou interpersonnelles survenant à l’occasion des transitions. Les tensions identifiées s’expriment entre différents pôles. Ils portent sur la mission du nouveau responsable (transformer ou consolider), les relations avec les autres (développer des liens ou maintenir une distance), la réciprocité (chercher de l’aide ou apporter de la valeur), le style décisionnel (imposer ou faciliter), le rythme du changement (ralentir pour préparer ou aller vite pour obtenir des résultats), philosophie et valeurs (faire le ménage ou développer) et enfin la loyauté (soutenir l’équipe ou soutenir la hiérarchie). Cette vision par polarité nécessite pour le manager en prise de poste un dosage subtil pour atteindre l’équilibre nécessaire aux transformations visées. Le troisième chapitre recense trois défis critiques auxquels sont confrontés les nouveaux. Chacun de ces défis exacerbe les tensions préalablement décrite et amène le manager à développer une posture réflexive. Le premier défi a trait à l’autorité auprès de la hiérarchie, il requiert d’équilibrer les tensions relatives à la mission, à la réciprocité et à la loyauté. Il s’agit ici d’interroger la pertinence de la mission des ressources négociables, de repérer le niveau d’aide requis et d’identifier les signes de loyauté. Le défi relatif au choix de l’orientation par le responsable fait plus particulièrement ressentir les tensions relatives à la mission au rythme du changement acceptable et au style décisionnel. Le responsable est amené à s’interroger sur le soutien réel de sa hiérarchie, sur la pertinence du rythme adopté au regard des enjeux et de la configuration dans laquelle il évolue et sur le niveau requis de l’implication de l’équipe et de la hiérarchie dans les prises de décisions. Le défi portant sur la légitimité acquise auprès des collaborateurs nécessite d’équilibrer des tensions propres à la réciprocité, à la loyauté et aux relations. Il importe ici de répondre aux questions relatives à la qualité et à la confiance présente dans les relations interpersonnelles, au niveau de transparence et de proximité à adopter. Le quatrième chapitre insiste sur l’influence du contexte. Les pressions émanant du contexte sont liées au jeu concurrentiel qui impose une accélération du rythme au risque de privilégier la transformation, l’action immédiate à la prise de distance et au développement. Les pressions culturelles et personnelles poussent aussi les managers à s’élever au-dessus des autres par le pouvoir d’une qualité mystérieuse appelée charisme, charme ou magie. Ces pressions tendent à promouvoir les priorités économiques aux priorités organisationnelles et incitent les responsables à placer les retours financiers en tête de leurs préoccupations, à revoir leur stratégie à tout moment, à considérer les organisations comme jetables au regard des intérêts économiques à cultiver une image dominatrice et à se battre pour des victoires susceptibles d’être rapidement mise à leur crédit. Le cinquième chapitre met en perspective les conclusions pour chaque manager interviewé au regard de son histoire personnelle. Enfin le dernier chapitre s’efforce de ramasser les enseignements de la recherche et insiste sur les sources psychologiques des tensions lors de la prise de poste. Il est possible de relever : le sentiment d’étrangeté procuré par la nouvelle situation, la résonance psychosociale c’est à dire la façon dont les relations aux autres touche spécifiquement l’identité des managers en transition, la compréhension du contexte organisationnel hors de tout jugement, l’équilibre entre les références avec le passé et la projection vers un nouveau projet, la sécurité ontologique et la contenance des paradoxes en situation difficile. La thèse défendue bat en brèche l’idée du manager rationnel, habile à décider en toutes circonstances et brosse le portrait d’une personne et de ses dilemmes qui dans un temps contraint doit se construire une légitimité et orienter efficacement l’action d’une organisation. La lecture de cet ouvrage est fortement recommandée à tous ceux qui s’interrogent sur les temps charnières d’une transition de carrière à enjeux aussi bien DRH qui cherchent à accompagner des prises de postes réussies que managers en transition.