A un moment où les liens sociaux se distendent, où les repères collectifs s’effacent, où les DRH cherchent à maintenir et animer le corps social chacun est invité à se construire. En trois mots : « qui est je ? » une question essentielle est posée. Vincent de Gaulejac est directeur du laboratoire de changement social. Il fait parti de ces sociologues qui décrivent la société telle quelle est plutôt que comme on souhaiterait la voir. Sa plume critique sur la société actuelle s’est déjà exprimée dans une quinzaine d’ouvrages. Ce dernier-né explore les conditions sociales et psychiques du processus de subjectivation par lequel un individu cherche à devenir comme sujet. C’est à partir d’une sociologie clinique au plus prés du vécu que l’auteur cherche à comprendre comment se tissent les relations intimes entre l’être de l’homme et l’être de la société. Vouloir être sujet n’est pas une liberté si simple. Cette liberté se construit face au poids des contraintes, des normes internalisées, des conformismes, des pressions groupales. Les dimensions du sujet sont multiples il peut être sujet social, existentiel, réflexif, ou acteur ce qui le renvoie à l’univers de la société, à celui de l’inconscient, du cognitif, ou de l’action. Cette variété du sujet conduit à remettre en cause la frontière construite entre la sociologie et la psychologie. Le social et le psychique sont mutuellement irréductibles. Pour un sociologue, la signification des conduites humaines est inséparable du système de relation sociale dans lequel elles s’inscrivent. Pour ce qui concerne le psychique, l’individu ne saurait se concevoir exclusivement par ses habitus au sens de déterminations sociales, sinon qu’est ce qui expliquerait les trajectoires singulières ? L’individu est d’abord ignorant des conditions sociales de sa propre production et de l’héritage socio-symbolique et généalogique qu’il reçoit dés sa naissance. Si l’auteur repère les travaux explicatifs de l’émergence du sujet comme la socialisation, la subjectivation ou l’individuation, ces processus forment pour lui des perspectives liées car individu et société sont indissociables. Si les processus sont unis, l’identité revêt de multiples visages. La singularité naît de la façon dont le sujet choisit les différents éléments constitutifs de son identité. L’identité s’avère une notion carrefour entre le psychique et le social. Elle exprime le sentiment d’être, le sentiment d’unité et de cohérence de la personne, ce qui la définit comme être singulier. Mais l’identité parce qu’elle est héritée, acquise ou narrative reste en lien avec des groupes d’appartenance ou de référence. La part du social dans l’identité demeure même après un travail d’autonomisation. L’identité ne se résout pas à une appartenance unique. La subjectivation apparaît comme le processus de médiation entre les contradictions sociales qui ne manquent pas de traverser l’individu tout au long de son histoire. En parallèle, la psychanalyse affirme le primat de l’inconscient et remet en question la conception d’un sujet conscient et sa volonté de maîtrise. Que conclure ? que le sujet est irrémédiablement inscrit dans une double détermination sociale et psychique. Pour l’auteur c’est même dans la confrontation de ces multiples contradictions que l’individu se construit comme un soi-même développant quatre dimensions : sa réflexivité, ses capacités d’action délibératives, ses capacités de dire ce qu’il éprouve et d’éprouver ce qu’il dit, la reconnaissance de ses propres désirs face aux désirs des autres. L’assujettissement du sujet procède d’un double mouvement de dépendance aux désirs de ses parents d’une part et aux normes du système social dans lequel on vit d’autre part. Finalement le terme de sujet renvoie simultanément à deux idées contradictoires celle d’assujettissement à des pouvoirs et d’autonomisation en tant qu’être singulier. Le concept de sujet entretiendrait donc une représentation illusoire du je. En somme l’avènement du sujet s’inscrirait dans une double polarité entre le refus de l’assujettissement et le désir d’être. Les contradictions dans le rapport individu/société exacerbe les inégalités. La société se fait fluide, globale, polyconcentrée, déterritorialisée, les distinctions de classe se délitent, la norme est au changement permanent, à la mobilité, à la flexibilité, à la réactivité et à l’instantanéité il en résulte des identités flottantes. Dans le même temps où il doit s’affirmer le sujet perd ses repères ses certitudes et ses valeurs. Il devient incertain. L’exigence d’être sujet face au désenchantement confronte l’individu à des tensions nouvelles, une fragmentation de la vie, une incertitude quant à la définition de soi. Il s’ensuit une quête éperdue de sens avec les excès, les peurs, les errements qui y sont liés. L’individualisation qu’elle soit positivement ou négativement vécue débouche sur une quête de reconnaissance identitaire, pour se sentir exister socialement. Dans les situations extrêmes viol, camp de concentration l’existence en tant que sujet n’est pas si simple. Comment se faire accepter quand on a vécu l’inacceptable ? Ici la confrontation à l’altérité peut se faire résilience ou anéantissement. « Deviens qui tu es » est la citation de Nietzsche qui ramasse les contradictions relevées par l’auteur. En synthèse la conclusion relève nombre de paradoxes tel que devenir singulier et autonome tout en se conformant à des codes sociaux stricts et à une normalisation intense des comportements, se révéler sujet et objet du désir, se situer dans une conception déterministe de l’existence tout en puisant dans celle-ci et dans la confrontation au travail simultanément matière à se construire et à réflexivité. Si comme l’affirme Vincent de Gaulejac, chacun est amener à produire le sens de sa vie, le rôle des DRH ne va pas se simplifier pour aligner les énergies sur les objectifs de l’entreprise.