Prologue
Quand mon Directeur m'a indiqué que l'un de ses amis montait un cabinet de formation au Cameroun en partenariat avec un petit organisme local, j'ai d'abord cru à une blague. Quand il m'a demandé de me faire faire un passeport pour aller faire de la formation la bas, j'ai ouvert un atlas, pour voir ou se situait le Cameroun. Quand j'ai réalisé que c'était en Afrique noire, je me suis sérieusement demandé comment fonctionnaient les Africains pour apprendre. J'ai ouvert des livres, fait des recherches sur internet, préparé mes cours. Dans ma tête j'étais prêt.
Mardi j'ai traversé le Sahara
Le délégué de la province de Yaoundé est mort. Membre influent du parti, cela va remettre en cause le stage. Car des festivités dans les villages en brousse vont mobiliser stagiaires et dirigeants. La décision définitive de départ vers l'Afrique a été prise le soir même en concertation avec mon directeur. Beaucoup d'hésitation pour finalement partir. De toute façon j'étais prêt ; vaccin contre la fièvre jaune, la polio, l'hépatite A, vêtement enduit de répulsif anti moustique. J'avais même lu les livres d'Empâté Ba, les contes africains, les études économiques sur la région CEMAC (états d'Afrique centrale, ancienne Afrique Occidentale Française), des cartes et même des ouvrages scientifiques sur le management à l'Africaine. Mais ce départ précipité, annulé puis finalement redécidé me perturbe. Je dors assez mal cette nuit là, plein de rêves et de peurs d'Afrique noire. Le réveil, dernier déjeuner avec les enfants. Bisous, rebisous commande de cadeaux pour le retour. Recommandation de Justin, qui ne veut pas qu'un lion me mange une joue. Je traîne mon sac plein de cours dans le métro. Le RER me tire jusqu'à Charles de Gaulle terminal 2. Il y a deux semaines à ce même endroit j'échangeais avec le responsable de formation d'air France. Aujourd'hui c'est autre chose. Le guichet des départs, l'enregistrement des bagages, les formalités douanières. Tout s'enchaîne avec la vague terroriste en Espagne la sécurité est partout. Dans toutes les queues je suis le seul blanc. Ca me fait bizarre. L'avion, un airbus, capitaine Dussolier nous accueille. C'est parti en quelques minutes nous arrachons nos carcasses des pistes. Du hublot je vois fondre Paris sous les nuages. C'est toujours beau la vue d'en haut. A coté de moi un immense camerounais 2 m, 120 kg, un colosse. Il est videur dans les boites gays sur les grands boulevards. Il rentre au village. L'avion nous secoue la haut dans les nuages. La campagne glisse sous l'ombre des nuages. Tout petit c'est joli. Les chaînes de montagnes surtout les Pyrénées me font penser aux vieilles cartes géographiques en relief de mon enfance. La Méditerranée, quelques plis blancs, des vagues. L'île de Majorque. Je ne la pensais pas si grosse. Ca y est on quitte notre continent on franchit la mer. On pique sur l'Algérie. La cote, une ville blanche, Alger? Le tapis de verdure au sol passe progressivement de vert-brun à brun, puis jaune, puis rouge. L'airbus s'engouffre au-dessus des vents chauds du Sahara. Le Sahara des dunes de sable, des crêtes poudreuses. C'est magique. Je rêve de Saint Exupéry, du petit prince. Je m'imagine dans la cabine du pilote contemplant ma route dans un infini. Et si l'avion devait se poser là en plein désert? Que se passerait il ? La traversée dure 2 heures. Le moniteur de navigation installé sur mon siège annonce les villes et oasis que l'on dépasse. Tamanrasset, Nouakchott, chaque nom est une évocation de chaleur et de soif. Les yeux rivés sur le sable, j'essaye de distinguer de la vie. Rien, pas de touareg sur un chameau, pas une maison, pas l'ombre d'un arbre. Des pistes sèches qui s'entrecroisent et se perdent dans des entrelacs de dunes. Des chaînes de rochers noirs rompent la monotonie. Est ce là l'ancien fonds d'un océan? Des deltas de sables, asséchés, des rivières de graviers forment des bras, des géométries noires et rouges, noyées dans d'éternelles dunes rouges. Les images des sondes sur mars me viennent à l'esprit. On passe au-dessus d'une ville. Une sorte de mirage humain imaginé contre les tempêtes et la soif. Des capteurs solaires gros comme des pièces de 5 F l'entourent. Le ciel d'un bleu rasoir s'obscurcit, des nuages de poussières se lèvent et troublent ma vision des dunes. Deux heures de traversée à 900 km, le Sahara serait donc profond de 1 800 km! Je ne le concevais pas si large. Des taches sombres de bruns et de vert apparaissent, est ce la savane? Le pays des Peuls, les pasteurs légendaires dont parle Ampathé Ba? Puis de longs méandres bourbeux s'imposent dans le paysage. Les courbes sont celles d'un fleuve gigantesque, est ce le Niger? Tout autour de ce ruban qui capture les reflets du soleil, du vert sombre, puis tendre. Je sens la vie qui bruisse. La descente commence sur Douala. Je cède ma place au videur. Il est de Doubla. Dans la chute, le géant a les yeux humides. Il est rentré au pays. Je sors de l'avion. Immédiatement happé de toutes mes pores par la chaleur et l'humidité. 38° affichés à 17 h 30! Ca promet d'être chaud en pleine journée. Je suis moite en moins d'une minute sensation étrange et inconnue jusqu'alors. Je quitte le cocon de l'avion et je m'avance dans l'aéroport. Une ambiance de désordre tranquille est installée. Les contrôles s'enchaînent, sanitaire, douanier, administratif. Le douanier m'arrête.
- Que transportez-vous ?
- Des cours.
- A vous êtes enseignant, passez!
Un bon point pour moi, on aime les formateurs dans ce pays. C'est la cohue, les cravates coupent les files, les boubous crient, mais ne peuvent que constater le passe droit. Arrivé dans le hall de réception des bagages, cinq casquettes se ruent sur moi. Des porteurs patentés de l'aéroport, et les autres. Ils me baratinent de tous les cotés. Le hall à bagage est entouré de trois hauteurs de galeries avec les amis, les proches des voyageurs qui se pressent haranguent, crient leur émotion. J'ai l'impression d'être dans une arène. Je m'extrais de tout ça. Mon béret et le signe de reconnaissance convenu pour mes hôtes. Ils m'ont vu, ils m'appellent. Je les avais devinés, gilles est le seul blanc de la foule. Ils m'emmènent de là. Je me sens enfin en sécurité. Jean rené et François Xavier sont vêtus comme des ministres, chaussures luisantes dans la poussière rouge. Ils portent mon sac. Je n'aime pas l'idée qu'un blanc voit son sac porté par deux noirs. Mais ils refusent catégoriquement que je le porte. Ce sont mes hôtes je me laisse faire pour aujourd'hui. Sortie de l'aéroport, des grappes d'enfants partout, en paquet encerclent les débarqués. Quand cela sont blancs, ils redoublent de presse et d'insistance. Tout service doit être payé en retours. Porter la valise, indiquer le chemin, garder la voiture… et gare à celui qui ne donne pas la pièce. 100 F CFA, c'est le tarif pour les enfants. On sort du parking, le gardien a du mal à réclamer son du. Il se trompe dans l'addition. On sort enfin. La banlieue de Douala populeuse, grouillante, chaude. L'hôtel qui m'est réservé n'est pas le Hilton, comme prévu sur le fax, mais le Tropicana. Moins luxe mais correct. Il y a juste cette odeur de moisi dans la chambre qui me prend le nez. Un premier rendez-vous commercial est pris à la communauté urbaine. Trois intermédiaires sous le porche avant d'accéder à la responsable. Une femme élégante au regard clair. Son bureau est un mélange étourdissant de hautes technologies, écran plasma, micro dernier cri, téléphone portable dernière génération, mais aussi un indescriptible bric à brac, bazar de dossiers, empilement de décisions et de papier.
-"entre 10 m de route et de la formation professionnelle, le délégué choisit la route, c'est prioritaire!"
Fin de l'entretien nous quittons les yeux pétillants de notre interlocutrice. Nous filons vers le littoral, manger un "grillé". Arrivé vers une paillote en bord de mer. Des tables posées sur un ponton de bois, avancé sur la mer. Il fait délicieusement frais. Gilles choisit les poissons dans le vivier. Ils frétillent l'œil vif. On négocie le prix poisson par poisson 11 800 F CFA plus les boissons et le riz ca fera l'affaire. Poisson, piment, banane plantain, c'est très bon. Un musicien camerounais arrive avec sa guitare, il nous joue la lettre à élise, mouais, mouais, mouais…. Je n'imaginais pas comme ça les rythmes tropicaux. On échange avec Jean René Ndouma le directeur de MMS et François Xavier Noubossié, son commercial. Le repas est gai plein d'espoir de part et d'autre. Gilles notre intermédiaire, nous la joue vieux capitaine au long court, baroudeur sur toutes les mers du globe. Il nous fait la blague des poissons qu'on pèche sans hameçon ni filet. Les poissons volants qu'on capture dans les voiles bien sur! Jean rené attend beaucoup de notre partenariat. La soirée passe paisiblement, je tourne la tête vers la mer, je me trouve nez à nez avec un panier posé sur la tête d'un pécheur. Il a de l'eau presque jusqu'à la taille. En pleine nuit, il vend sa production en direct. Pendant qu'au loin des siens collègues tapent avec des bâtons pour pousser un banc de poissons vers des filets. La journée, le changement de climat a été épuisant. Je ne sens plus le moisi dans la chambre d'hôtel. Je m'endors rapidement délaissant de mon esprit les musiques tropicales d'un bar tout proche. Demain sera un autre jour.
Mercredi j'ai voyagé en "Cameroun prestige"
Lever 6 heures, toujours cette odeur de moisi. Je regarde par la fenêtre, déjà beaucoup de gens actifs. Le petit peuple des trottoirs occupe sa place : balayeur, vendeur ambulant, taxi, gardien de place, orienteur de chemin, vigilants de toutes natures, vendeur d'eau à la bouteille ou à la demi-bouteille, grilleurs de poissons, découpeurs de fruits en lamelles. Je descends, petit déjeune de deux fruits verts, goûteux et juteux. J'apprends plus tard que ce sont des papayes, un régal. Il y a beaucoup de personnel dans l'hôtel : passe plat, contrôleur de ticket, approvisionneur de buffet, caissier, responsable, chacun à un emploi très précis. Dans ma chambre, je scrute par la fenêtre, depuis mon premier coup d'œil du matin, deux balayeurs on fait 200 m de trottoir. J'observe le carrefour, je sens le rythme de la ville. Des taxis jaunes omniprésents, des groupes de jeunes à mobylette. Lecture d'un journal local hier deux voleurs surpris en plein délit on été lynchés par la foule, le journaliste approuve. Gloups! Je retoune à la fenêtre, au carrefour personne ne respecte les feux. Le Klaxon et les cris régulent la circulation. Jean rené arrive, super sapé classe. Je lui présente le CESI au bar, comment on fait de la formation en France. Gilles arrive, stratégie de la semaine. Rencontre dans le hall du tonton de jean rené.
- "Donne-moi des crédits pour le téléphone tonton!"
- "Penses à appeler ta mère!"
Tonton nous emmène dans sa grosse voiture avec chauffeur jusqu'à un ministère, gilles y fait ses affaires et revient. Puis il nous dépose à la station de bus "Cameroun Voyage". Faubourg peuplé de Douala, agitation garantie à toute heure du jour et de la nuit! Jean René négocie trois billets en classe prestige avec la chef d'agence, lymphatique serait encore la décrire comme pleine d'énergie. "Posée là" serait plus précis. On attend dans un salon climatisé, pendant que la foule attend sa place dans la cour baignée de soleil. Les cars partent et arrivent régulièrement. Chaque arrivée est une quasi-émeute, qui remue les bagagistes, les taxis, les proches et familles. Les cars africains sont à l'image des stéréotypes. Bondés de monde. Brinquebalants et aléatoire dans leur trajectoire et leur sécurité. La gare routière occupe nombre de personnel, balayeur, comptable, guichetier, répartiteur, contrôleur, assistante, porteur, guide en tout genre, inusables vendeurs ambulants. Le car prestige se met en route. Comme un gros éléphant il sort du marigot, son moteur vrombit, la foule s'écarte à son départ. Quatre heures sur une route dense en circulation. De part et d'autre le ruban de bitume traverse les mangroves. Gilles me raconte des histoires de chasse au crocodile. Rien que d'imaginer mettre un pied dans ce vert humide ça me glace le sang. Distribution de journal (le popoli un journal satirique, sorte de "Canard enchaîné" local, saignant à souhait). Puis l'accompagnatrice nous distribue, de l'eau et du Pili (boulettes de bœuf un peu épicé), elle est pas belle la vie en "Cameroun Prestige"!. 4 heures de route, à dépasser des voitures hors d'âge, à foncer sur les lignes blanches, à klaxonner les voitures et les cars en panne sur le bas coté, à se traîner derrière des camions datant de la dernière guerre. Chaleur, chaleur, chaleur. Le prestige c'est d'arriver en vie et à l'heure. La climatisation est en panne. A chaque arrêt (péage, carrefour bouché, barrage de police), les vendeurs se précipitent panier sur la tête portant de tout, proposant de tout. Arrivée à Yaoundé, la ville au 7 collines. Je n'aime pas l'évocation des collines ça me fait penser à la radio des 1000 collines qui avaient incité au meurtre au Rwanda (800 000 morts dans les collines pour mémoire). Une petite pluie de 5 heures nous accueille. C'est la foire d'empoigne chaque chauffeur de taxi veut son client. Ils se disputent entre eux. Gilles négocie avec le chauffeur le plus pressant. Il aura 1500 F CFA pour sa course. L'hôtel ou nous rendons est situé dans le quartier des ministères. A l'entrée un baobab gigantesque trône. L'hôtel est somptueux. On pose les bagages. Le taxi nous emmène chez MMS. Il se prépare à filer sans nous rendre la monnaie. Gilles invective l'indélicat. Il nous rend l'argent. MMS est une Petite entreprise de formation, située dans les locaux de l'UNESCO et du consulat du Canada. Deux gardiens hébétés gardent l'entrée de l'immeuble. Les locaux de MMS sont aux standards européens. La salle de formation est équipée d'un rétroprojecteur, d'un paper-board. L'équipe est composée du patron Jean René, de Michel, le commercial, d'un homme à tout faire, d'un formateur en informatique, de trois assistantes. Il n'y a qu'un ordinateur et une imprimante pour tous. Le bureau de Jean René est organisé en salle des palabres : des sièges en cercle. Un français perdu là nous explique qu'il va épouser une camerounaise. Il doit constituer la dot pour la famille de l'épousée. Déjà les belles sœurs veulent des robes et des boubous neufs, les beaux-frères, les cousins, les oncles, le pères, la mère, la parentéle de la jeune fille a des idées sur ce que doit contenir cette dot. Gilles qui est marié à une camerounaise lui conseille de ne pas céder à tout sinon, il sera copieusement ruiné. Echange ensemble sur les projets MMS-CESI. Revue des clients, il faut louer une limousine, sinon cela ne fera pas sérieux pour les clients. Michel fait le tour des "particuliers" (comprendre les secrétaires des directeurs) avec son portable, les rendez-vous son confirmés. Bon il manque des cartes de visite. Jean René prend l'affaire en main. On aura tout ça demain (débrouille africaine!). On boit une bière locale en face. Michel nous parle de sa vie. Son éducation par un prêtre et par sa "maternelle". Sa mère adoptive qu'il n'a pas vue depuis 10 ans et qui vie en France. Il a trois enfants 13, 7 et 3 ans qui fréquentent (l'école?) Donc tout va bien. Retour à l'hôtel, un verre avec Jean rené et gilles, puis un poulet grillé, et sa banane plantain. Gilles me raconte sa vie à son tour. Les tours du monde en bateau, la ceinture noire passée au japon, la découverte du Cameroun, son activité d'affréteur de bateaux entre Douala et Marseille, son épouse camerounaise, ses deux enfants, ses projets d'installation d'antenne satellite. On ne l'arrête plus, il a tout fait, tout vu. Le sommeil m'emporte au lit. A demain.
Jeudi, j'ai prospecté des clients avec MMS
Lever 6 h 30. Grande journée commerciale prévue. Il faut être bien habillé. Douche à l'eau froide, brrrrr!!. Je jette un œil sur la TV camerounaise. Une chaîne de musique diffuse 24 h sur 24 h des chansons en dialecte et en Français. Toujours des danseuses. Le premier rendez vous est fixé à 9 h 30 à l'autorité aérienne. Michel et Jean René arrivent princier en limousine et costumes trois pièces. Je termine mon petit déjeuner un gros fruit orange pas frais, une bouchée et c'est tout, un café et un croissant. Arrivée à l'autorité, le contrôle d'un militaire, au faciès. Deux blancs, deux noirs en trois pièces, allez-y! Le rendez vous est pris avec un cadre juridique. Toujours des huissiers, des secrétaires, des traines-couloir. Les portes, en bois précieux, recouvertes de cuir sont marquées de fonctions prestigieuses. Accueil dans la salle des palabres, sous le portrait du président. Pas de besoin de formation. En route vers Camtel, le France Telecom local qui est en train d'être privatisée comme en France. Nous croisons un lépreux, le visage boursouflé, il gratte à la fenêtre de la voiture, il reçoit une obole. Un accrochage dans la rue crée une palabre, puis cause un suraccident. La rue s'agite, les chauffeurs de taxis jaunes toujours présents se chamaillent. Le petit peuple des trottoirs a tout vu et propose ses services : vente de bonbons, de tubes de colle, cigarettes, bouteilles d'eau, pinceaux, rouleau de nourriture. On poursuit le chemin. La Camtel, un grand building. On prend l'ascenseur, il est à la limite de la surcharge. Les passagers sont très inquiets. Tiens la aussi un danger. Rencontre du DG adjoint, nous fait patienter dans une salle d'attente. Café langue de chat, cacahuète. Le téléviseur et le ventilateur sont branchés. Chaque bureau de l'entreprise a le portrait du magnanime président Paul Byia bien en évidence. La formation oui, mais c'est le Directeur des Ressources Humaines qui décide, et là il est au village pour les festivités. Encore les festivités! Il sera là demain. Nous, la délégation du CESI laissons nos cartes de visite MMS-CESI, réalisées pendant la nuit on ne sait comment. Rendez-vous au CNPS (la sécu locale), le responsable ne peut plus nous recevoir, revenez cet après midi. Avant d'avoir cette information nous avons patienté dans le canapé 10 places qui emplit tout le hall. Juste le temps d'entrevoir un bureau saturé de 6 secrétaires, là où en France on en placerait trois. Les bureaux sont ouverts. Le personnel discute, palabre, rigole, parle, échange, invite, propose. Je ne sens pas ici une folle énergie orientée vers un quelconque travail. Repas africain dans un restaurant ; "le Pelican". Petit salon privé et ventilé, nappe crasseuse, serveuse endormie. Palabre autour d'un poisson grillé, banane plantain, Ndollé. Pour ne pas déplaire à mes hôtes, je goûte un truc enroulé qui sent assez mauvais. Ca a la forme d'un tuyau, vert pale. Ce n'est pas très bon, ca a peu de goût et ca a la consistance d'un bout de pneu, paraît il que c'est fait à base de manioc. Retour au CNPS. Rencontre du Directeur dans la salle des palabres. Homme élégant dans son costume trois pièces vert bouteille, une tête de dictateur Bocassa, grosses bagues, bonnes joues, physique grassouillet. "On va faire des affaires" en sortant la délégation est sure qu'il veut en croquer. Qu'est ce que je vais planter? C'est la formule allusive pour récupérer une commission. Les tarifs pour ces gens là c'est entre 10 à 30% du marché, explique Michel. Il va falloir aussi soigner son réseau de particuliers. Alors c'est ca la corruption! Aujourd'hui c'était un homme d'ethnie Ewondo, sont ils tous pareil? Ou est ce que c'est réservé à certaines personnes? Visite de la société nationale immobilière. On croise en pleine canicule (36°?) Un groupe de 40 policiers en chemise qui grimpent une cote en chantant les louanges du régime et de son président. Le petit peuple des trottoirs rie et chante avec eux. Le ciel est toujours nuageux. Rendez vous improvisé au PMU local. Une secrétaire d'une ethnie particulièrement charnue et fessue nous introduit. On rencontre la DAF, elle est française et intéressée par notre offre. Retours chez MMS, toute l'équipe est avachie sur des chaises. On les a croisés le matin dans la même position. Réunion dans la salle à palabre. Point de la journée. Debriefing des techniques de vente. Remarque à jean rené en aparté sur l'organisation administrative de MMS et la motivation du personnel. En repartant pour l'hôtel on s'arrête au bancomate. Me voilà riche en millier de francs, mais gilles se fait avaler sa carte bleue. Arrivée à l'hôtel, renvoie de la limousine on te paiera demain. Pas de problème.. point avec jean rené qui nous explique que MMS ne tourne pas comme cela devrait. Il a deux mois de retard de salaires. Les commerciaux possèdent leurs portables et doivent avancer les frais de communication pour prospecter. La difficulté c'est que comme elles ne sont pas payées elles ne peuvent pas avancer le prix des cartes téléphoniques. Pour Jean René elles ont perdu le focus. En plus le loyer est de 300 000 F CFA , et il faut payer 3 mois d'avance. Jean rené repart. Gilles me raconte ses aventures de marin, la fois ou son navire a chaviré retourné par un tronc, et la façon dont il a été hélitreuillé après trois jours de canot. La puanteur de la prison de Gibraltar, pour s'être fait prendre en possession d'un bazooka (arme défensive en mer contre les pirates de l'océan indien). Le jour ou une raie manta géante est venue se frotter les caudales sur la coque de son bateau, effrayant ses riches clients…. Gilles demande une masseuse, la réceptionniste sourit ;
- "il n'y en a pas Monsieur"
Bilan de la journée, c'est dur pour MMS!, Pas de fax, un cyber café pour les connexions Internet, un ordinateur pour 10. On est commercial non parce que l'on est compétent mais parce que l'on possède un costume ou un téléphone. MMS a du mal!
Vendredi, un chef d'état rencontre un autre chef d'état
Lever 6 heures. Pas très bien dormi, la clim s'allume et s'éteint en faisant un potin du diable. J'ai l'impression que quelqu'un entre dans la pièce. Petit déjeuner café croissant. Ca suffit car mon ventre gargouille, j'ai la "tourista", sûrement le machin vert pale d'hier! Gilles doit récupérer sa carte bleue au crédit lyonnais. Le chef caissier en boubou patchwork crédit lyonnais vert et jaune, nous oriente vers Yvette, qui nous oriente vers un autre guichet, qui nous fait prendre un escalier et ainsi de suite… Gilles appelle sa banquière de Douala, elle nous donne le nom d'un chef caissier dans une autre banque du Lyonnais. On y va. L'affaire se règle, mais cela prend du temps, car un chef de tontine fait des placements avec ses associés. Beaucoup de petites coupures circulent de main en main et transitent sur divers comptes. Il fait chaud bien sur, on va au premier rendez-vous à la société nationale des hydros carbures, un état dans l'état. Le bâtiment est aussi grand et luxueux qu'un palais présidentiel. Chaque fois qu'une porte est ouverte, une personne la ferme à clé derrière nous, ça fait bizarre. Enfin nous rencontrons le Directeur des ressources humaines et sa responsable de formation. Ils sont intéressés mais ne peuvent pas signer (personne ne peut jamais signer!). Et bien au revoir, ravis de vous avoir connu. Michel s'est muni d'un petit bloc de post it jaunes qu'il glisse dans sa poche de chemise, comme je l'avais fait la veille. Deuxième rendez-vous notre interlocuteur parle parfaitement français, mais il aborde l'entretien en anglais, pour nous rappeler le bilinguisme camerounais. Lui aussi est intéressé, mais il ne peut pas signer! On rentre à MMS, on est coincé dans les embouteillages africains. Le chef de l'état de la Guinée est présent à Yaoundé. La veille il a expulsé 1500 Camerounais de l'île de Malobo, une rumeur de coup d'état et de camp d'entraînement, bien sur. Du coup le port de Douala n'expédie plus de nourriture en Guinée. Ca sent la poudre. Le président guinéen est obligé de faire amende honorable auprès de son homologue Camerounais Paul Biya. Toute la ville est bouclée, la gendarmerie est sur les dents, un peu plus nerveuse que d'habitude, et la je ne suis pas sur que ce soit bon pour des blancs. Le cortège présidentiel passe. Grosse motos, berlines officielles à vitres fumées, mercedes, 4 X 4 japonais. Du bruit, des Klaxons, de la poussière envahissent le boulevard de la Libération. Sur les bords de route, la police en grand uniforme, casquette et guêtres blanches. Ca y est c'est fini, on peut passer. Les forces de l'ordre relâchent la pression. On file chez MMS. Repas de boulettes sur le pouce et réunion de motivation de toute l'équipe menée par gilles. Coup de téléphone, gilles est content il pense vendre un avion d'occasion à l'un de ses amis ministre. 30 millions d'euros! Départ avec notre limousine jusqu'au dépôt de "Cameroun Prestige". Le dernier départ pour Douala est dans 45 mn. Il faut faire vite, les places dans le car sont comptées. La ville est encore ralentie par les convois d'officiels guinéens. Le chauffeur prend des risques quelques gouttes de sueurs sur son bonnet rond de croyant, ultra crasseux et tripoté. Dans le coffre j'ai évité de poser mon sac sur ses chaussettes vertes, rigides et odorantes. Il trace sa route, c'est sa djihad personnelle. Il manque d'écraser des vendeurs et des mendiants, de tamponner des taxis et des charrettes à bras. Il se dispute sur le chemin avec Jean René. Celui ci est stressé et il le montre. Et moi qui croyais les Africains nonchalants. Cameroun Voyage n'a pas enregistré notre réservation. Il ne reste plus que les lignes normales (le véritable car Africain typique dangereux, bondé de monde, inconfortable, et surtout capable de tomber en panne à n'importe quel moment. Mme Diop s'est engouffrée avec ses deux enfants dans le car en présentant leurs billets allers, elle essaye de resquiller. Mais une matrone chef de quai, très autoritaire, remet de l'ordre. Elle voit deux blancs, et un noir bien mis, ici ça compte. Elle nous fait passer en tête de la liste d'attente. On obtient les trois dernières places. On marque les bagages. A nous le prestige! Car avec ses téléviseurs éteints, sa climatisation qui pourrait presque marcher, ses rideaux poisseux, ca reste ce qu'on fait de mieux en matière de transport. On sort des collines de Yaoundé, et l'on s'enfonce dans une sorte de jungle verte, peuplée d'une faune discrète et d'une flore colorée. De magnifique colline avec peut être au fonds du paysage, le magique Mont Cameroun. Le prestige file bon train et dépasse, les voitures fatiguées, les cars bondés, les camions poussifs, les camionnettes en panne, les motos déglinguées. On a vraiment l'impression être quelqu'un d'important dans le Prestige! Je comprends enfin que le véritable prestige c'est d'arriver à bon port et de franchir les 300 kilomètres qui nous séparent de Douala et que le moteur tienne bon. D'ailleurs le moindre bruit de moteur inquiète mes voisins. Le car se fraye un chemin à travers les mangroves, de ci delà des friches fumantes. Des arbres coupés? Une exploitation forestière? Tout d'un coup, un village, une fête?, Une affluence de tout : mobylettes, grappes d'enfants, vendeurs ambulants, femmes qui portent des bouteilles, des paniers sur la tête, des sacs de riz ou de mil. Des bâtons de lumière (néons fichés dans le sol) éclairent les places animées d'awele. Un sapin de Noël!?, des groupes vêtus de couleurs bigarrées et mêlées, rouge, vert, jaune, bleu, maillot des lions indomptables ou de l'équipe de France, boubous, jupes, pagnes. Personne n'est nu tout le monde est bien vêtu. Les écoliers et écolières en uniforme bleu marine. Le car prestige peine à franchir l'entrelacs de cases. Des taxis jaunes agressifs cherchent à nous dépasser de droite ou de gauche. Mieux vaut avoir un Klaxon qu'un frein, une voiture qui peut braquer. Dans la masse des animaux, chèvres, troupe de poules, chien pelé comme un vieux tapis battu. Pour patienter je lis "Le Popoli", le canard enchaîné local, il y a la beaucoup d'expressions africaines savoureuses, en particulier pour tout ce qui tourne autour du sexe (comme "écraser sa sœur", ou "sucer la pistache") . Ouf! enfin à Douala. 15 porteurs de valises vendeurs d'eau, taxis, informateurs, vendeurs de mangues me pressent. Je m'extirpe, comme je peux de ces gluons Humains. J'ai mis la main sur ma valise. Gilles a un de ses amis qui l'attend dans une mercedes rouge de l'autre coté de la rue. On traverse à l'Africaine, on passe en s'imposant, tout le trafic s'arrête. On crée 5 minutes d'attraction et de cris, comme à chaque fois qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. Et couper la circulation c'est extraordinaire. Gilles va boire un verre avec son ami ou relation d'affaire Manga Nbassa. Je monte faire une sieste à l'hôtel. Puis gilles m'appelle on va boire une bière à proximité. Des danseuses nous montrent leurs popotins frémissants, (ici on dit des dandolos), au son de la musique. Au son de l'orchestre déchaîné, elles exécutent toutes sortes de danses du Cameroun, lascives rythmées balancées, toujours gracieuses et sexy. Beaucoup de files seules à des tables, et des blancs la cinquantaine bien passée accompagnés par des belles créatures. Ndollo dans la case! (pour cette expression y a t-il besoin d'un dessin?)
22 h 30, je suis fatigué. Demain il est prévu d'aller au marché aux fleurs.
Samedi, je suis allé au marché aux fleurs
Levé à 9 heures, temps nuageux, comme depuis le début de la semaine. Mais les rayons se glissent dans le coton de ma chemise et me trempent les reins. Plus de diarrhée, c'est super! Petit déjeuner café-croissant, beaucoup de fruits me font appétit mais je préfère ne toucher à rien. Mangue, papaye, fruits rouges ou bruns à écorce, ananas seront pour une autre fois. Gilles va à la communauté urbaine pour affaire. Il me dépose au marché aux fleurs. A peine le blanc débarqué au milieu des cabanes en bois, un surnom m'est attribué par les marchands : "moustache". Tous me tirent par les yeux, la manche, le bras pour que je pénètre dans la pénombre colorée et souvent ventilée de leur échoppe. Un vendeur de collier m'explique qu'avant le CFA, les Africains échangeaient des cauris (petits coquillages blancs), ou des graines d'arbre. Il m'assène un tel flot de noms exotiques que je n'en retiens pas un seul. Il me vend un grigri en bois précieux pour Marie. Il me parle aussi des ambassadeurs, sorte de petits masques en terre colorée que tu présentes à la chefferie, par exemple celle de Bordeaux, pour faire connaître d'où tu viens. Il me montre des colliers gravés dans des graines très rares mais il est inflexible sur le prix, il refuse tout ajustement. Je poursuis, chaque boutiquier en boubou coloré m'invite, me pousse du regard, fait barrage de son corps pour que je rentre dans leur réserve. Chaque pas est une négociation, une explication, une argumentation. Nous restons courtois eux et moi, mais ils sont quand même pressants. Un vendeur de chemise m'arrête en me disant.
-"Ca me ferait plaisir que tu entres chez moi"
Il me déballe ses chemises, ses boubous, et ses sous boubous, ses shorts, ses pantalons. Les cotonnades sont magnifiques, il me propose 12 000 F CFA, la chemise. Je dis non, je fais mine de partir. Il me supplie de dire un prix, "c'est comme ca en Afrique tu dois dire un prix, même un franc! La négociation s'engage, il argumente, moi aussi. Ce faisant il me parle de lui de sa vie, la relation qu'il a avec ses couturières et je lui parle de moi de ce que je fais ici de paris et de barbés. Du coup les quatre vendeurs présents autour de moi veulent aller à barbés parce qu'il y a des africains. Je leur dis :
"Allez-y si vous avez de l'argent, sinon c'est l'enfer"
Ils ne veulent pas entendre cela. La négociation se poursuit la chemise a baissé de 12 000 F CFA à 5 000 F CFA. C'est encore trop cher. Alors je leur dis :
"J'en prends deux et on se met d'accord pour 7 000 F CFA, les deux. Et pour trois chemises ca serait d'accord pour 10 000 F CFA?"
"d'accord pour 10 000 F CFA les trois"
Je n'ai que 9 000 F CFA, il refuse de me laisser les 3. Tant pis j'en prends deux. Je poursuis ma traversée de mains envieuses et de regard plein d'espoir. A cette heure je suis le premier client. Un vendeur de statuette, un Haoussa, me dit que la majorité des marchands sont de son ethnie. L'ethnie Haoussa est nomade, elle parcourt l'Afrique de part en part en trimbalant toutes sortes de marchandises. Il me montre les statuettes en bois d'ébène, noir comme sa peau, des bois gris, rouge, brun, beige. Il m'envoie une encyclopédie de noms qu'encore une fois je ne peux retenir. Mais les éléphants sculptés, canne rituelle, pygmées, femmes tenant des cruches sur la tête sont très belles. Les traits sont fins, expressifs, détaillés. Un style s'en dégage une sorte de magie sort de la statue d'un guerrier pygmée, sa barbe (comme moi!), ses yeux, ses joues creuses dégagent un parfum de mystère. Des colliers d'ambre précieux ornent les clous rouillés de la boutique. Deux musulmans, nigériens certainement vus la couleur sombre de leur peau veulent me faire asseoir. Je refuse car l'un est âgé et même si je fonds en sueur, je ne prendrai pour rien au monde, le tabouret d'un vieux (surtout dans ce pays ou ils sont tant respectés). Je titube vers l'étal suivant. Un vendeur de masque sénégalais de 43 ans affirmé (il en paraît 60 ), il me dit être très âgé et avoir beaucoup voyagé. Lui aussi connaît tout de sa marchandise. C'est un expert en traditions africaines. A chaque fois qu'il m'explique un masque, il me force absolument à le prendre dans les mains. Le masque soleil tout rond pour avoir du soleil (quelle drôle d'idée dans ce pays ou il manque plutôt de fraîcheur), les masques Fans, inquiétants, tout en longueur, les masques striés des guerriers zaïrois, les masques de rites, de cérémonie, de danse en terre pour sorciers, et les griots. Il m'explique aussi le sens des statues Dogon avec du raphia de noix de coco et des personnages à grosses joues. Les grosses joues symbolisent l'opulence, la richesse. Des statuettes veinées permettent d'appeler la pluie. Les statues justices excitent ma curiosité. Il s'agit en fait d'un rituel du Ghana ou lorsqu'une personne se fâche avec une autre, chacune plante un clou dans la statue. Imaginez un personnage recouvert de clous rouillés comme un porc épic, avec de gros yeux et une grande bouche ronde et vous aurez une idée de la statue justice. Bien reprenons, dés que les clous sont plantés, le premier des antagonistes qui se blesse ou est malade est reconnu coupable de la dispute et doit payer compensation à l'autre, d'un repas, d'un sac de riz, ou autre bien, et après ils sont quittes. Les statuettes de bois blanc très élégantes du Bénin portent bonheur. Le marché est encore grand, quelques touristes blancs sont arrivés, la pression se relâche enfin (un peu!) Sur moi. J'ai trop chaud, mon pantalon et ma chemise sont mouillés de sueur. Je jette un regard lointain aux fleuristes, et aux vendeurs de sacs les sacs tressés ou en raphias colorés sont beaux mais ne m'enthousiasme pas. En sortant du marché j'ai encore de quoi acheter un petit djembé (tambour) en acacia pour Justin. Dehors je me pose au carrefour au frais et je guette la voiture de Gilles (en fait c'est la voiture que Manga lui a prêtée). J'en profite pour regarder le ballet des gosses à mobylette qui pour une pièce ou deux font les taxis pour les élégants ou les femmes pressées. Gilles arrive on va manger dans un restaurant tenu par de la famille, des cousins, des amis, des proches de Manga l'un de ses amis avec lequel il est en affaire. On mange bien, viande grillée et riz pour moi. Puis on attend Manga qui va faire réparer le frein de sa voiture. Enfin du frais dans le restaurant la "cabane à bambou". Si Manga ne nous avait pas amené là, jamais, jamais je n'aurai poussé la porte, j'aurai cru un coupe gorge, un bouge sans hygiène. En réalité Manga a du goût, tout est propre à l'intérieur et les serveuses sont serviables (ca change!). Manga envoie un de ses hommes nous chercher. Il a fini sa réunion de famille. Nous pénétrons dans un quartier populaire par une artère nommée Douala bar. Rue nommée ainsi parce que c'est là qu'on trouvait des liqueurs et de l'alcool. La route est tellement trouée qu'on doit zigzaguer entre les creux pour avancer. On passe de ruelles en venelles et on arrive dans une rue dédiée à la mécanique. Des tas de gars bricolent des voitures dont certaines ont du passer le million de kilomètres au compteur. Manga nous accueille dans son repaire crasseux, une tôle ondulée soutenue par des murs en bois? Torchis?. Il nous offre un jus comme on dit ici. En face on voit le mécano qui répare la caisse. Le jus d'ananas est très sucré. Manga enfile presque d'une traite une bouteille de 65 cl de grenadine. Ca lui donne une langue toute rouge, avec ses dents blanches, sa peau sombre, son embonpoint et son rire fracassant, ca me donne une image de l'ogre africain. Les autres clients du bar sont avachis dans des canapés râpés ils font mine de ne pas écouter ce que se disent Gilles et Manga à propos des papiers pour avoir un permis de port d'arme. Je baisse la tête dans mon jus, et je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas. Manga Mbassa nous prête sa voiture et m'invite ce soir chez lui avec gilles (les amis de mes amis sont mes amis). Je sens beaucoup d'humanité chez les Camerounais, et chez Manga en particulier. J'accepte donc d'aller chez Manga. Gilles me dépose à l'hôtel et rentre chez lui faire une sieste à Maképé, c'est une banlieue chic ou vit "Petit Pays", un chanteur, une star camerounaise. J'écris mon journal. Plus tard dans la soirée, gilles repasse me prendre pour aller chez Manga. Pour ce rendre de l'autre coté de la ville, il faut éviter les trous, les voitures qui viennent d'en face, passer par les trottoirs, chasser les piétons, pousser les charrettes à bras. Avec la nuit tombée, l'exercice devient difficile. Il fait un peu moins chaud, à peine 28°. Arrivée chez Manga, une villa cachée derrière de hauts murs, protégée par la vigilance d'un gardien, armée d'une lampe torche. Deux petites filles de Manga nous accueillent. On est deux blancs, un peu effrayant, surtout moi avec la barbe. Pendant que Manga et Gilles discutent de leurs affaires, je joue à "caché pas caché" avec les yeux, ça amuse les enfants ici aussi. Manga finalement ne sort pas avec nous, sa femme est malade. Il se moque gentiment de nous et de notre vache folle.
-"les blancs nous ont appris que les vaches étaient herbivores, on les a cru, alors les farines de viandes animales on ne comprend plus!" Avec l'accent africain un peu forcé de Manga, la blague est irrésistible.
Sa maison est richement meublée de confort européen et décoré de motifs africains. On part pour aller manger un morceau au Méditerranée, un rendez-vous d'expatriés, grand restaurant tenu par des grecs. Des filles rigolent, des films Français ou l'on ne fait que boire du café, en s'agitant pour des histoires de cœur stupides.
- "Des histoires de blancs! On n'y comprend rien"
Et les filles rigolent encore bruyamment du "Seigneur des anneaux", ou du blanc chauve qui s'est pris un avocat bien mur sur la tête, la semaine passée au meme endroit. Gilles me dépose à l'hôtel. Je regarde les cocasses informations camerounaises, et je m'endors.
Dimanche j'ai chanté avec les Doualas
Lever 7 h 30. Mal au ventre et mince! Je feignante un peu, après tout on est dimanche. Puis je décide d'aller me promener dans le quartier. Il n'y a pas encore grand monde dans les rues. C'est vraiment étrange ici, il doit se passer quelque chose. Je fais une promenade dans le parc jouxtant l'hôtel. Quelques africains font des siestes sur le gazon. Des lézards bicolores, orange, bleu, gris, gros moyen petit et vifs se glissent dans les herbes et chipent des pelures ou reste de nourriture. Leurs yeux sont bien ronds et fixes comme ceux de lézard, mais leur façon de procéder tient plutôt du rat. J'observe les lézards, je suis observé par les Africains. Tout le monde a quelque chose à voir. Au loin sur une colline, une grande église blanche m'attire. J'y porte mes pas. Je traverse un pont qui passe sur une rigole boueuse. Quelques buffles broutent. Leur grosse bosse abrite suffisamment de vermine pour donner à manger à des oiseaux blancs qui picorent en équilibre. Les grandes cornes en forme d'arc courbe des buffles n'ont pas l'air de les gêner. Je poursuis vers la petite colline. Elle domine Douala. C'est la cathédrale saint Paul. La messe a commencé je m'y joins. La messe est dite en dialecte Bakoko?, Bassa?, de Douala certainement. Je ne sais pas en tout cas le rituel est le même. La cathédrale est pleine. Les chœurs de fidèles sont splendides. Les hommes graves répondent aux femmes aiguës. Il n'y a pas besoin d'instruments. Les chants sa parlent et se répondent et montent sur la voûte de bois précieux en forme de coque de navire. Les rythmes d'Afrique résonnent. Tout le monde est bien habillé, les femmes en particulier ont mis leur chapeau à voilette, couleur pastel. Les hommes sont en costume ou en chemise multicolore. Tout vibre de spiritualité. Les gros ventilateurs sous les vitraux ne parviennent pas à disperser la chaleur moite. Les scènes de la crucifixion représentent un jésus et des larrons aux visages africains, cheveux crépus, teint sombre. Ca donne à réfléchir sur la nature de Dieu et les représentations des hommes. A la sortie de la messe de fidèle, les familles s'assemblent et papotent joyeusement. Je quitte la place et la statue de la vierge, et je file à l'hôtel pour me doucher et ôter cette sueur qui me colle à la peau. Gilles me retrouve à l'hôtel. on fait le point sur la semaine à venir, on mange un croque-monsieur en avalant une bière. Jean rené nous rejoint Xavier est avec lui. Pour m'assurer de la pédagogie je leur présente le contenu et la forme du cours. Jean rené écoute poliment. Quand il sourit, je sais que ça va provoquer des réactions dans le groupe. Il est enthousiasme par ce que je propose. Puis nous échangeons avec il me parle de son cousin qui a voyagé à travers le monde. Son père était commerçant. Le cousin se servait dans la caisse. La deuxième épouse n'a pas apprécié et a monté le père contre le fils. Elle l'a "diabolisé". Le père a fait fouetter son fils par la police, puis comme cela ne suffisait pas il l'a fait "chicoter" (un mot qui semble rigolo, mais qui veut dire tabasser en règle) cinq jours durant. Le fils en retours, a amassé une solide somme de CFA. Avec la complicité d'un officier de police il a fait enfermer son père pour deux jours de chicotage. Père et fils se déchirent. Le fils décide alors de partir faire le tour du monde. Lorsque le père est mort. Le fils n'est pas venu à l'enterrement ce qui est très grave en Afrique, presque un renoncement de soi même, puisqu'en Afrique il n'y a pas d'homme seul mais des familles. Jean rené qui écoutait distraitement l'histoire fut brusquement réveillé et scandalisé. Xavier, intarissable me raconte qu'il a des soucis avec son père. Celui-ci a 2 femmes et 9 enfants, et il se désole que Xavier n'ait qu'une seule femme et seulement trois enfants. Il le presse d'en avoir d'autre pour assurer la descendance. Xavier refuse, et pire encore, il ne veut pas élever les enfants de son père. Conflit des générations? Modernité contre tradition? Xavier nous raconte encore comment un homme vaniteux de son village avait failli bouffer à s'en étouffer. Voilà l'affaire : cet homme avait quatre épouses au village. Quand les co-épouses lui préparaient le repas, il était obligé de tout manger pour n'en vexer aucune et ne pas créer d'histoire. Un jour les co-épouses mécontentes de leur homme, se concertèrent et lui préparèrent deux plats chacune, soit huit plats. Et il faut vous dire qu'un plat africain typique se doit d'être nourrissant comprendre viande et poisson et trois féculents dont du riz et de la banane plantain. Le pauvre homme face fut pris de malaise, et on le retrouva bien mal au fond de son boubou. Nous échangeons ensuite sur les différences entre nos pays. Mes deux hôtes africains me disent qu'ils apprécient la France terre de liberté, notre nourriture, la révolte contre le racisme (un million de Parisien dans la rue le 21 avril 2002), "Paris ville de toutes les races". Ils regrettent qu'on ait perdu nos traditions, le sens de la famille. Moi je leur dis que j'aime leur chaleur humaine, la vie, la nature forte de Afrique et que je regrette, les faibles infrastructures, les déchets partout. Je monte me coucher sans manger, la chaleur 38°, 122% d'humidité m'ont achevé.
Lundi il y a beaucoup de misère à douala
Levé 7 h 15. J'ai bien dormi, mon ventre ne gargouille pas, c'est bon signe. Aujourd'hui j'ai de l'eau chaude, je me douche à me brûler la peau. Au restaurant j'avale deux papayes, un café et deux croissants. Me voilà parti pour la journée. Gilles arrive le premier, puis jean rené, puis Xavier. On décide de prendre la voiture de Xavier car elle est plus grande. Quelle erreur! Comme il n'a pas beaucoup d'essence, il n'enclenche pas la climatisation, pour économiser. On roule fenêtres ouvertes et on aspire à pleine figure la poussière de la terre rouge Afrique. La circulation est dense. Cinq rendez-vous commerciaux sont prévus. Le premier se passe mal car nous ne sommes pas attendus. Le directeur est souriant, nous sommes à 7 personnes dans son bureau de 12 m2. Les deuxième et troisième rendez-vous ne sont guère plus construits. On file au restaurant, la rue principale est bondée de taxis jaunes, vélos, porteuses de cuvettes colorées, pousse-cahute, malfrats, dandys, pick-up noirs aux vitres fumées. Elle est bouchée par un minuscule froissement de tôle. Et là je ne comprends pas pourquoi un tel branle bas de combat. Les voitures sont tellement dézynguées qu'un peu plus un peu moins, il n'y a pas lieu de s'énerver, et pourtant… tout le monde à tout vu. Des enfants déguenillés sont prêts à témoigner pour une pièce. Les vendeurs de poissons frits se ruent sur l'aubaine. Des tas d'automobilistes captifs sont autant de bons clients, face à la presse. On file par une venelle transversale. C'est la caverne d'alibaba. Chaque maison que l'on frôle est menacée d'écroulement. Elle regorge de pièces de voiture usées, mais usées…des courroies, des bielles, des delcos, des moteurs, des joints, des pots d'échappement (c'est joli un tas de pot d'échappement!), des portières, des amoncellements de câbles, des piles de pneus, tellement lisse qu'on pourrait presque se voir dedans. Dans une ruelle minuscule et crasseuse, il y a 1000 voiture en pièces détachées. Et les mécaniciens, ils griffent la tôle, la raclent, la tamponnent, la polissent, la chauffent assis à même la terre avec des instruments qui tiennent plus de la sorcellerie que de l'étincelle mécanique. Aune pauvre cuvette, une femme se lave entièrement nue dans un recoin de la rue. Ouf on ne tombe pas en panne. On se gare dans une rue un peu plus calme. Il fait chaud. Le restaurant en comparaison de la rue est un havre de fraîcheur. Je mange un curry de porc, je goûte un Ndole, sorte de purée d'épinard amer mélangé d'un goût de cacahuète. C'est bon sans plus. Je termine par un ananas sucré et bien juteux : succulentissime. Notre prochain rendez vous est annulé. Tant pis. On se réfugie au frais de l'hôtel, en passant on croise une grosse femme nue, assise, les yeux hébétés, un pied atrophié. Elle tient ses seins dans ses mains. L'un d'entre eux saigne. Gilles m'explique que le vin de palme fait perdre la raison et déforme les corps. On passe au comptoir d'Air France pour confirmer les vols retours. L'escale est fraîche, le personnel très aimable. En sortant un papier officiel de l'ambassade de France attire mon regard. Nous sommes invités à faire très attention à notre hygiène et à nous laver les mains, car le choléra est dans la ville. C'est la maladie des mains sales. Vite un lavabo! Dernières visites, un centre d'art contemporain. Bof, triple bof. Ca barbouille pas mal à paris, ca barbouille pas mal ici aussi. On passe voir un centre de formation qui loue des salles. Dans une ruelle pourrie (ca sent, c'est laid, ca suinte…) une porte minable. Il faut entrer. La salive avalée, la porte poussée, après un entrelacs de couloirs et d'étages on arrive dans des locaux "high-tech" propres et modernes. Pur contraste africain. Le rendez vous est prometteur. Retour à l'hôtel on s'assoit autour d'une bouteille de Modiba (l'eau minérale locale). Demain rendez-vous à 5 h 30 pour partir à Kribi.
Mardi c'est ma première journée de formation à Kribi
Le réveil sonne à 5 h 15. Je suis vite prêt. Gilles m'appelle par le téléphone de l'hôtel. Xavier et Jean René sont en retard mais finissent par nous rejoindre. Nous partons pour Kribi distant de 220 km Depuis le début de mon séjour j'entends parler de Kribi comme d'un endroit enchanteur. C'est au bord de la mer, il doit y avoir un peu d'air frais. Xavier conduit la Nissan. Il traverse les rues silencieuses de Douala. Il ne fait pas encore trop chaud, alors déjà les petits commerces ambulants s'agitent et se mettent en mouvement. Les charrettes à bras envahissent la rue. De l'autre coté de la ville, il faut désormais klaxonner fort pour passer. Le vieux pont de bois de la rivière Wouki est franchi. On croise un train, LE train National. Il passe sur des rails tordus, je ne vous dis pas ca ferait frémir mon cheminot de père. Le réseau ferré date de la colonisation allemande aux alentours de 1928. Enfin le train racle mais il arrive quand meme à passer. Le quartier-village qui suit nous empêtre un peut plus mais on se glisse quand même. Xavier fonce sur une route bien revêtue à plus de 100 km Il ignore la peur et les lignes blanches. 120 km dans ce pays c'est vraiment très rapide. On s'engouffre dans d'épaisses palmeraies. Au croisement on aperçoit les contremaîtres et leurs équipes qui se préparent au travail. Des jeunes enfants en uniforme bleu ou brun avancent en file indienne vers l'école, une bouteille d'eau ou un cartable sur la tête. La brume du matin donne un air de fraîcheur. En fait la nuit il doit faire 26° et le jour 38°, cela suffit à créer des nuages qui avalent les cases et rendent encore plus inquiétantes encore les mangroves. Pendant le voyage Jean rené me raconte les péripéties de chasse qu'il menait enfant avec ses parents dans la foret. La poursuite des phacochères, des porcs épics, le singe, autant de mets de choix. Autant d'habileté de chasseur. Surtout pour les singes proies rusées entre toutes. A cette occasion, il me révèle aussi que les chiens ne sont guère appréciés que pour la chasse ou comme chien de garde, le reste du temps, les Africains les évitent. Arrivée à Kribi. C'est un ensemble de paillotes élégantes. Tout est propret un homme taille même le gazon, très british. L'hôtel a les pieds dans l'eau. L'endroit est habité par une foule de lézard et d'oiseaux qui se sont lancés un concours de couleur et de bruits de gorge. La salle de formation est parfaite. Nappes bleues, bouquets de fleurs odorantes rouges et jaunes de la jungle, bouteille d'eau, climatisation qui fonctionne. C'est vraiment bien. Il n'y a plus qu'à attendre les stagiaires. … Ils arrivent avec 5 heures de retard. On m'explique que dans la région c'est normal. Car ils sont venus en stop ou dans des voitures bricolées et forcément fragiles. Pour 300 km de Yaoundé, Michel a du payer 3500 F CFA. Une dame de la Maetur est tombée en panne à Evea. Elle n'a pas eu confiance dans le mécanicien local elle nous dit par téléphone qu'elle ne laissera sa BMW fatiguée pour rien au monde. Alors elle reste campée sur le bord de la route en attendant un camion de dépannage. On n'entendra plus parler d'elle. On mange des plats copieux, crudité, poissons, Ndollé. Je ne prends pas de tête de poisson car selon l'usage local je serai obligé de rester. Les bananes plantains sont parfaites, les pastèques en dessert, moelleuses. La formation commence. Plusieurs choses me surprennent toute décision doit passer par un ministre. La posture de ministre ressemble plus à la posture d'un petit chef de service français. L'atmosphère est difficile à dégeler au début. Puis cela s'améliore, les exercices s'enchaînent, ca y est le groupe participe. Les problèmes de parrainage (le piston) sont importants. On est obligé de recruter qui souhaite le responsable. L'origine tribale l'emporte sur la compétence, de même que l'appartenance à une religion, un groupe ou un parti politique (il n'y a qu'un seul parti donc de ce coté la c'est plus simple). Si on n'est pas du bon groupe on peut se faire démissionner pour avoir refusé un passe droit. On peut rester en poste après l'âge légal de la retraite si on est l'ami d'un ministre. Le recrutement dépend de qui on est et qui on connaît, plutôt que de ce que l'on sait. La loi interdit qu'un suppléant remplace un député qui décède de crainte d'inciter à de la "sorcellerie d'entreprise" (tous les moyens sont bons pour se débarrasser d'un rival ou d'un gêneur). Dans ce contexte l'organigramme de remplacement est un véritable pousse au crime. C'est plutôt la chicote que la bienveillance qui prédomine dans les rapports professionnels. L'autorité hiérarchique est puissamment respectée. Seul parfois le respect des textes et leur parfaite connaissance peut contrer la corruption. Et avec tout ça l'humilité, le respect, la croyance en dieu sont des valeurs qui sont souvent évoquées. Il y a beaucoup de loi, texte, décret et circulaires, mais peu sont vraiment appliqués. Le pouvoir discrétionnaire du chef l'emporte. Si il y a des retards de paiement des fournisseurs, c'est le devoir du chef d'assumer et d'avancer l'argent. Quand un "pistonné" arrive, on le met en quarantaine. Il reste au milieu d'un service, sans qu'on ne lui donne rien à faire. On voit alors comment il réagit. Le diplôme est tellement prestigieux qu'on préfère souvent un incompétent diplômé, qu'un autodidacte efficace. Il n'est pas possible d'anticiper un remplacement car cela attiserait les convoitises. Tout le monde voudrait le poste et en conséquence ne travaillerait pas. Pour se faire recruter, il est de bon ton d'abandonner son premier salaire à son recruteur, c'est normal. Si je possède une voiture ou un téléphone portable, alors je peux exercer un métier de commercial, sinon que faire? La formation aussi courte soit elle doit être couronnée d'un diplôme. Après la formation discussion avec le chef de service de deux stagiaires, qui passait par la par hasard. Il gère un programme international de sauvegarde des tortues de mer. Le programme vise à ramener à la mer les tortues prises dans les filets des pécheurs. Pour éviter que les pêcheurs ne mangent les tortues, son agence leur donne un peu d'argent, et pour avoir de l'argent, l'agence cherche des sponsors auprès des touristes. Ceux ci payent pour que l'on inscrive leur nom sur la tortue avant qu'elle soit rejetée à la mer. Cet arrangement entre pêcheur tortue et touriste met tout le monde d'accord. le chef de service nous offre un verre nous fait parler, contrôle que tout se passe à son idée. Repas du soir très copieux, crudité, poisson et poulet grillé, bananes bouillies (bof!), patate et riz. En dessert la mangue est d'une saveur incomparable. Deux trois pas sur la plage enfin fraîche, j'observe la lune et les étoiles je ne m'y retrouve pas bien dans mes constellations. Bon j'y verrai mieux demain.
Mercredi un serpent rampe sur la plage
Lever 7 h. on a prévu de commencer à 8 h mais au petit déjeuner le groupe me fait comprendre que 9 h ca ira bien. Donc je petit déjeune d'un café et me met au pas. La formation se déroule paisiblement au rythme d'ici. je répète, fais faire des exercices pour que ça passe. Ca à l'air d'aller. aujourd'hui c'est ma journée "zanimaux" de la jungle. Des lézards colorés grouillent partout à leur activité, des petits oiseaux jaunes et gris à long bec piquent des miettes, les perroquets font du foin dans les cocotiers. Je vais marcher le long de la plage. Je me trouve nez à nez avec un serpent noir de 1m 50, la tête dressée à guetter une proie. Cette rencontre avec le serpent me fait frissonner, je suis hypnotisé par cette présence sauvage immobile et mortelle. Elle incarne pour moi l'Afrique toute entière. Sa violence potentielle, cette liberté qu'on n'entrave pas, ce calme. L'idée de lui jeter du sable sur le corps pour le voir réagir me traverse l'esprit, mais j'abandonne l'idée, à deux mètres de moi je suis en danger. Je préfère respecter le mystère de cette présence. Je passe mon chemin, je n'ai pas une tête de proie. Dommage je n'ai pas l'appareil pour photographier le monstre. Je n'ai plus peur il est chez lui en bord de jungle, pas moi, donc je finis de m'écarter lentement sans geste brusque. Plus tard un pêcheur me dit qu'avec le manga qui est un long serpent vert tendre ou noir, celui ci est un serpent mortel à éviter. Dans le coin il y a aussi des vipères et des boas. Une histoire locale dit qu'un groupe d'hommes a du intervenir pour délivrer un enfant de 5 ans du ventre pansu d'un gros boa (l'image de tintin au congo me fait un flash dans la tête). Bon passons, je suis trop gros pour un boa, même gourmand. Je file prendre une douche, mais la trappe de contrôle de la baignoire a un petit trou. Il y a là une énorme blatte grosse comme un escargot. Berk! Une autre fois la douche. Je bouche le trou avec du papier. Je vais dans la chambre, je me trouve entouré de scolopendres, bestioles rampantes ou mille-pattes. Que les hindous me pardonnent mais j'écrase tout de ma grosse pompe. Ca va mieux il n'y a plus rien qui vit autour de moi. Sauf quelques moustiques qui se cachent et attendent leur heure. Je file manger. Nems, poissons grillés, spaghetti bolognaise, banane plantain, riz (c'est léger, c'est camerounais!), tranche sucré d'ananas en dessert, voilà une bonne chose. A table, Marcel nous raconte qu'il s'est fait prendre à parti par un pécheur parce qu'il se "lavait" (il faut comprendre il se baignait dans la mer) à la nuit tombée. Et cela dérange les esprits de l'eau. Il faut faire un rituel expiatoire et le pécheur peut le faire moyennant une petit finance. Marcel se contente de ses "mamies wattas" (esprit totem de l'eau) et réfute le sacrifice. Il argumente que l'esprit de l'eau a besoin de calme pour se reposer et qu'il ne peut résider dans les vagues trop agitées. Il remonte le fleuve plus haut justement là ou Marcel habite. Donc lui connaît mieux que le pécheur l'esprit de l'eau; donc passe ton chemin rançonneur! En plus il faut dire que sur cette plage sublime fréquentée par des gros et des petits crabes, ils galopent partout. Aucun africain, sauf Marcel ne se risque dans l'eau. Une sorte de terreur non dite les éloigne des vagues. Marie Npo m'explique que la mer est une mangeuse d'homme. Son propre frère y a laissé la vie, personne ne l'a revu. Je me promène plus loin vers la plage, après une barre de rochers noirs. J'observe les barques : ce sont des pirogues faites d'un tronc évidé et durci au feu : rudimentaire! Les pécheurs ravaudent des filets minables. Même une baleine pourrait passer entre les mailles. Au loin après le soleil couchant flamboyant, les feux de la station de pompage de pétrole ELF s'allument. Je poursuis les pieds dans le sable, je finirai bien par tomber sur une troupe de tortues qui pondent leurs œufs, même une seule ca serait bien. Je marche longtemps pour en voir, mais rien à faire! Cousteau leurs a sûrement fait peur lors de son dernier voyage. Je rentre, le maître nageur de l'hôtel me vante les beautés touristiques des sites alentour : le village des pygmées chasseurs de singes que l'on peut voir d'une pirogue en bord de fleuve, les chutes d'eau, les forets profondes… il faudrait revenir avec votre femme! Je lui en parlerai, je ne suis pas sur que point de vue bébéte, elle apprécie vraiment. La nuit est douce, Michel me parle de son village qui est plus loin sur la cote. En Douala, il avait pour nom "éléphant" mais les éléphants ont été tués pour leur ivoire. Les grands arbres sont exploités et décimés par les Malaysiens. Depuis le village n'est plus au frais. Vu le climat, ici c'est vraiment une catastrophe! Jean Bernard me parle de sa foi en Dieu et des saisons camerounaises. La petite saison chaude janvier, février dure deux mois, la petite saison des pluies, deux mois encore, puis viennent la grande saison chaude, et la grande saison des pluies. Cette année la petite saison chaude dure un mois de plus. C'est un désastre pour les paysans qui ont planté trop tôt leur graine. Y a t-il ici aussi un réchauffement de la planète? Bon c'est fini demain sera un autre jour. Mon rituel anti moustique du soir, pour éviter de me faire piquer et d'attraper le palu, et au dodo.
Jeudi, jour du départ
Lever 6 h . Je regarde les informations. Dans un lointain pays, la France, l'équipe gouvernementale a changé. Ce qui est étonnant c'est qu'ici la politique française passionne et Chirac est un Dieu vivant! Bon douche, puis promenade sur la plage avant la formation. Ce matin la mer est émeraude, et au loin elle est bleu-noir. Un groupe de villageois tire de la plage le filet tout rapiécé que j'ai vu la veille. La bouée qui marque le bout du filet apparaît très loin à l'horizon. L'effort a l'air pénible, il s'y mette à 3 par corde, pour remonter la pêche. Les femmes guettent l'arrivée du poisson pour remplir leurs plats creux. Ce midi l'hôtel nous fera du poisson grillé avec leurs petites herbes aromatiques et du citron vert, je m'en régale d'avance. Bon je déjeune un café et quelques tranches d'ananas. Les stagiaires se plaignent. On n'a pas fait de tourisme. Alors que les chutes de Lobé sont proches. Elles se jettent directement dans la mer d'un promontoire rocheux. C'est unique au monde. Et la chasse au singe par les pygmées de Campo, observée d'une pirogue au petit matin… se sera pour une autre fois. Enfin je reprend mon rôle de modérateur comme on désigne ici les formateurs. Je dois assez vite boucler le cours car tout le monde a peur de rouler de nuit (je rappelle que la nuit tombe vers les 5 heures), à cause des accidents de voiture, des brigands, du racket de la police, des gens qui traversent n'importe ou. On clôture à 15 h Il y a un rituel du discours Africain en fin de stage. Par ordre de statut social, les stagiaires s'expriment, l'ancien en premier, puis un qui apparaît sur de lui, joufflu et le ventre rebondi (signe qu'il mange bien, signe extérieur de richesse). Jean rené, docteur Jean René est le plus solennel, un régal de paroles honorifiques africaines. J'ai les chevilles qui enflent à entendre de telles paroles sur mon animation; Une photo de groupe sur la plage des adieux, et nous voilà parti. François Xavier Nouboussié (possède, une voiture, un costume cravate, donc c'est un commercial) fonce à 150 km sur une misérable route. Il prévient attachez vos ceintures. Lorsqu'il est à bord de sa voiture, on sent le félin en lui. Il zigzague dans la nuit. On passe des péages, ne s'arrête pas à un barrage de police, file à travers les villages, passe des ponts branlants, des carrefours peuplés, des forets humides. Nous voilà déjà dans un quartier village de Douala. Il envahit allègrement "l'autoroute" de ses commerces, échoppes, vendeurs ambulants, taxi à l'affût. On s'englue la dedans prés d'une heure. Je crains de rater l'avion.
"Attention un gotou!" Quoi?
"Un glo tlou" articule François. Qui bouscule la voiture sur le coté pour éviter l'accident. Nous voilà enfin à l'aéroport. Mes amis me quittent. J'ai un pincement au cœur, mais rapide, parce que la seconde d'hésitation et mon bagage est déjà pris en charge par un bagagiste alerte qui me pique ma valise. Je vais devoir passer à la caisse (ne pas oublier avoir toujours un peu de monnaie! ). Je suis poussé de guichet en guichet. Je paye une taxe par-ci, on tamponne mon passeport par-là, mon bagage est enregistré. Le porteur finit par me soulager de mes derniers 300 F CFA. Je suis là dans la zone d'embarquement, on fouille les moindres pochettes de mon sac, on me scrute, deux casquettes kakis me dévisagent. Je n'ai plus de billets, je prie que ma tête revienne aux douaniers. Je m'assoie, j'attends mon vol, je respire. Demain matin, j'aspirerai la pluie grise de Paris.
Epilogue
Dés le lundi, j'ai rédigé un rapport professionnel pour mon Directeur. J'ai envoyé à MMS les documents que Jean René m'avait demandé. Puis rentré à la maison, j'ai mis mes notes au propre, pour raconter cette histoire. Je suis heureux et certainement un peu transformé de ce voyage. Rencontrer des hommes d'une autre culture reste une aventure passionnante. Je regarde la vie en France différemment. Nous sommes immensément riches de facilités matérielles, on ne s'en aperçoit plus. Et dans le même temps nous sommes immensément pauvres de rapports humains.