L'expérience numérique

Imaginez un seul instant que nous soyons privés  de nos gadgets numériques ? Ceci nous serait tout simplement insupportable tant ils sont devenus une partie intégrante de notre vie. Notre expérience quotidienne de la ville (80% des habitants des pays développés vivent en ville), vivons une expérience continue du numérique, de la connexion, du lien/contact/relation ou illusion de relation qu’il nous procure avec l’environnement. La discontinuité numérique, la coupure deviennent l’exception, la rareté. Avec nos terminaux mobiles omniprésents dès le plus jeune âge, c’est à se demander si nos numéros de téléphone ne vont pas supplanter nos numéros de carte d’identité ou de sécurité sociale pour nous identifier.

Cette numérisation du monde absorbe une partie :

•  de notre intelligence, car des logiciels anticipent, prévoient, décident à notre place,
•  de notre mémoire, car nous confions à des clés ou des disques durs des informations et des connaissances,
•  de nos contraintes cognitives, car nous déportons vers nos outils des tâches fastidieuses de comptage, de calcul, de mesure,
•  de notre sens de l’orientation, car nos GPS trouvent le chemin à notre place,
•  de nos capacités d’anticipation, car nous comptons sur l’hyper-connexion pour nous retrouver à un rendez-vous au tout dernier moment,
•  de nos compétences sociales et relationnelles, car nous confions nos goûts et nos préférences à des logiciels pour nous trouver fiancés et amis ou nous organiser des rendez-vous,
•   de nos capacités linguistiques, car les logiciels corrigent nos fautes d’orthographe ou de grammaire, voire même assurent la traduction de textes en différentes langues,
• de nos capacités d’observation numérique, car nos appareils photos peuvent sans relâche capter le moindre instant.

La liste de ce que nous déportons vers nos artefacts technologiques s’allonge. Les radios, baladeurs, ipod, tablettes, téléphones nous gardent connectés sans discontinuité avec les autres, avec des bases de données ou  avec des objets. La ville est devenue un territoire numérique marquée de bornes et de hot-spot qui relayent leurs flux de mégabits. Le temps numérique s’est invité aux cadrans de nos montres, sur les horloges, sur les parcmètres. Les informations financières ont été les premières à atteindre massivement les terminaux bancaires. Les bornes d’information et de paiement de toutes sortes se sont installées. Les espaces publics numériques se sont développés en même temps que les accès à internet étaient de plus en plus fréquents dans les gares, les boutiques, les postes, les bibliothèques. Les affiches de spectacles nous offrent avec les flash-codes, un avant-goût du show. Les produits sont aussi estampillés de leur mini vidéo-argumentaire. Les jardins abritent moins d’oiseaux mais plus de wifi. Les passe-sans-contacts des transports en commun, des lieux collectifs, des entreprises ou des accès sécurisés donnent l’impression de glisser sans s’arrêter. Nos systèmes TV, nos terminaux informatiques au travail comme à la maison, nos vidéos surveillance, nos caméras et appareils photos filment tout. Nous sommes envahis d’écrans et d’images animés.

Les usages numériques font partie de notre vie d’urbain. Notre autonomie serait affaiblie face à des usages si massifs. Comment imaginer travailler aujourd’hui sans ordinateur, sans messagerie ? L’idée de cordon ombilical est trop faible pour décrire cette expérience, celle de matrice serait plus appropriée. Plus qu’un lien, le numérique est devenu une forme de liant social créant de nouvelles interdépendances, cocon protecteur tout en même temps qu’il organise lentement mais surement notre dépendance.