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APPRENDRE AUTREMENT

APPRENDRE AUTREMENT

APPRENDRE AUTREMENT est le blog dédié aux approches innovantes de la formation dans les organisations


Je hais le développement personnel, Robert Ebguy, Eyrolles, 2008, 209 pages, 14,9 €.

Publié par CRISTOL DENIS sur 27 Novembre 2010, 08:15am

Catégories : #Fiches de lecture

 

 

 

A en croire les statistiques de la Fédération pour la Formation Professionnelle (+53% de croissance du chiffre d’affaires pour les formations en développement personnel en 2006), ou les analyses de Valérie Brunel[1], le développement personnel serait en plein développement et participerait à l’organisation de nouvelles formes de communication dans les entreprises. Le titre de ce nouvel opuscule résonne comme une charge, la mise en page de la couverture les couleurs rouge sur noir nous indiquent qu’un combat furieux va se livrer. Robert Ebguy est sociologue, directeur de recherche au centre de communication avancée international. Il entre ici dans l’arène pour dénoncer selon ses termes « le formatage des esprits et les manipulations des artisans du conformisme ». Pour lui toutes les techniques prônées par les gourous, les coachs, les conseillers, les accompagnateurs, les guides de tout poils seraient le symptôme d’une crise identitaire sans précédent. C’est en quatre vigoureuses parties que l’attaque est menée contre toutes les pratiques actuelles de développement personnel, de coaching, et de « marchandisation de l’intime ». L’essai dans son premier chapitre explicite pourquoi le contexte sociologique développe des failles dans des identités fragilisées. Tout d’abord l’individu ne saurait plus qui il est ; peut être parce qu’il agit et se représente dans des univers fragmentés en tant que lecteur, client, électeur, professionnel, consommateur etc. peut être parce qu’il chercherait à s’extraire à la contingence pour tenter de donner du sens à son existence, déclinant des stratégies identitaires variées (reproduction sociale, adaptation, création permanente de soi, résignation, prise de risque pour se sentir différent, recherche d’originalité, auto-justification). Pour l’auteur le trait actuel majeur fragilisant les identités serait l’individualisme cause de la disociété, provoquant, division, fractures et ghettos. Dans le même temps l’individu oscille entre « être soi » et « être avec » et cherche son équilibre entre communautarisme et individualisme. Le sentiment de ne plus avoir de prise sur le réel conduit à une défiance envers les institutions. La compétition économique entre les biens et les services glisse  sur les personnes. Le changement est permanent et institue un environnement économique et social de jungle. Avec l’avénement d’une culture de l’instantané et de  l’immédiateté l’effort d’adaptation s’accèlére et provoque précarité et vulnérabilité. La vision d’avenir s’en trouve amoindrit. Dés lors la société serait marquée par la peur et la culpabilité et aurait perdu ses illusions sur le progrès permanent.  Bref les générations nouvelles seraient confrontées au chaos et auraient fini de croire dans un  collectif protecteur. Face à ce constat de brouillage des étiquettes chacun se construirait sur de nouvelles bases. Les sexes, les costumes n’étant plus insignes de la position sociale, chacun est amené a trouver sa place dans l’espace social. Chacun se débrouille pour se définir et qualifier les autres. L’auteur définit la situation comme un dysfonctionnement des modes de représentations et montre comment celui-ci a permis l’apparition de la société du casting identitaire, ou l’apparence est devenue un critère clé.  Les marques dans lesquels chacun se projette fonctionnent comme les pourvoyeuses d’un prêt-à-exister. Plus que la représentation d’un produit, la marque est devenue une expérience à vivre. Dans le deuxième chapitre l’assaut est mené contre le coaching. Le constat est que si la marque a pris une telle importance alors incidemment chacun fait de soi une marque. Le développement personnel s’apparente alors à du self-packaging et introduit une dérive conformiste pour s’adapter à la demande. Pour l’auteur dans une culture de l’aveu le développement personnel et le coaching constituent des prothèses psychologiques. Si ces pratiques sont devenues des réponses possibles, c’est parce qu’une peur de l’exclusion pousserait à la marchandisation de soi. Il serait aujourd’hui nécessaire de mettre en valeur un moi performant pour exister sur le marché. Pour l’auteur le phénomène du formatage, conduirait à la chosification d’un individu adaptable et malléable à souhait. Dans ce règne de l’insatisfaction du doute, de la souffrance professionnelle, ce trouble sur les processus de subjectivation profiterait au coaching qui déploierait des solutions magiques dans tous les domaines de la vie. Finalement chacun se considérant comme une entreprise ferait appel à un coach comme promoteur d’une philosophie de la vie. L’auteur dénonce ici le double langage du coaching prônant d’une part de la performance et d’autre part l’accès à la substance d’un moi inconnu. Finalement à l’analyse le coaching renforcerait de la conformité sociale. La question « provocatrice » de l’auteur « faut-il bruler les coachs » revient de façon lancinante. Il pose en effet un doute sur la perversion de la morale. Le coach ne dit jamais ce qu’il faut faire et cherche à évacuer la violence en traitant les personnes non comme des fins en soi mais comme des instruments de soi participant inconsciemment à la destruction des liens sociaux au profit du culte de la performance individuelle. La troisième partie adresse ses piques à la téléréalité dont la marchandisation de l’intime favorise le télécoaching. L’auteur dénonce la façon dont  les médias contribueraient à « la fabrique des identités colonisées  par le coaching ». La quatrième partie achève la démonstration et propose d’échapper aux artisans du conformisme. L’auteur semble se replonger avec délice dans l’héritage de mai 1968 ou selon lui les identités faisaient sens. Si la société actuelle est allée trop loin dans l’ingénierie de la personne, il est temps d’accéder au génie de soi, de s’extraire de la pression sociale et d’articuler différemment la sphère de la réussite sociale, celle du bonheur privée et celle de l’imaginaire, inventive et culturelle. En conclusion après une telle démolition, Robert Ebguy nous propose quelques raisons d’espérer. A partir d’un regard sur une identité créative et non pas donné par le passé ou par d’autres, il brosse ce que pourrait être l’avènement d’une société de dépassement, de reconquête de soi s’appuyant sur l’énergie de la création et l’envie d’entreprendre autre chose. Tout le propos de l’auteur semble se résumer dans l’idée qu’il est temps d’arrêter de faire de soi des objets conforme pour être enfin soi-même et cultiver son génie propre.

 



[1] Brunel Valérie ( ), Les managers de l’âme : le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique du pouvoir ?, La Découverte, Paris

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