Une amie me consulte pour organiser un événement autour de l'innovation en pédagogie. Le constat qu'elle fait est le suivant : "La réforme de la loi sur la formation vient ouvrir de nouvelles perspectives en assouplissant les conditions d'imputabilité des actions relevées comme actions de formation. De nombreuses modalités sont désormais possibles. Un événement pourrait permettre au monde de la formation se s'emparer de nouvelles approches, techniques et pratiques pédagogiques. L'enjeu est de repérer et d'impulser ces pratiques"
J'ai toujours été plus stimulé par les questions que par les idées toutes faites, aussi je remercie mon amie pour cette belle question. Mais, je rebondis pour lui indiquer que le moteur de l'innovation n'est pas l'évolution d'une loi ou la technique pédagogique mais le sens qui la guide. Réunir entre eux des experts ou des professionnels pour les faire deviser est une perspective limitée pour innover en pédagogie. Selon moi, l'innovation pédagogique se produit à partir d'enjeux vivants ou bien de questions sociétales fortes. La question est moins quelle approche pédagogique doit être imputable mais en quoi une approche, une méthode, une technique pédagogique est plus pertinente pour répondre à un enjeu.
Il ne s'agit pas de maîtriser de meilleures techniques pédagogiques, mais de s'intéresser aux causes qu'elles servent. Aujourd'hui, il est impératif de sortir du regard porté sur le stagiaire comme un objet à former pour tendre vers l'idée d'un sujet auquel il s'agit d'offrir les meilleures conditions pour qu'ils se développe, s'émancipe, soit un citoyen intégré. Ma préconisation pour développer de l'innovation est d'ouvrir un tel événement moins sur le sujet de la technique pédagogique que sur une grande cause humaine au service de laquelle mettre la pédagogie. Les urgences ne manquent pas : lutter contre les discriminations et les frustrations qu'elles engendrent, s'intéresser à la lutte contre le réchauffement climatique, agir contre la radicalisation religieuse, revitaliser le vivre ensemble, lutter contre l'exclusion sociale ou le chômage des jeunes. Chacune de ces causes est en soi un puits de motivation pour explorer de nouvelles pratiques pédagogiques. C'est tirer par une insatisfaction, une indignation voire une colère qu'il est possible de bousculer vraiment des habitudes. La seule injonction d'innover pour innover présente peu d'intérêt.
Alors je répond à mon amie comment je verrai un tel événement. Tout d'abord, il s'agirait de travailler avec un groupe, soucieux du bien commun, en confiance, à la création d'une question authentique, une de ces questions qui mobilise au delà du cercle des initiés, des experts et des techniciens. Cette question devrait émerger de ce groupe à l'écoute des bruits du monde avec pour ambition d'y répondre en associant les personnes concernées. Ce groupe devenant plus consistant et solide sur la question, serait alors en capacité de poser la question à une communauté plus large. Imaginons que la question soit celle de "l'orientation en formation", il s'agirait alors de créer un événement avec des "orientés", d'imaginer des ateliers où les "orientés" et les "orientateurs" se parlent et inter-agissent non dans une position dissymétrique ou l'un est réputé aider l'autre, mais dans une position de parité d'estime (renvoi à la valeur de fraternité de notre république). Un événement rassemblant une variété de publics, d'intérêts, de besoin pour travailler ensemble autour d'une question produit plusieurs effets :
- un effet d'innovation sociétale par sérendipité : les idées des uns et des autres dans leur diversité, se mélangent, se croisent, s'entrechoquent, et se fertilisent
- un effet d'habilitation de la parole ce ceux qui d'objets deviennent sujets
- un effet de réseau où chacun enrichit son capital social de la rencontre avec l'autre et sort des limites qu'il s'imagine
- un effet d'humanité où chacun apprend avec et pour les autres
Pour moi, la philosophie d'un tel événement produit une communauté restauratrice de liens, incidemment elle provoque de l'innovation en se coltinant aux contraintes et au cadre, à des perceptions différentes de celles de son cercle habituel, incidemment il ouvre à des projets nouveaux et vers le premier pas d'un engagement. Dans cette configuration, la pédagogie se met au service d'une cause et agit sur le réel. L'innovation pédagogique n'est plus une technique supplémentaire, c'est un levier de transformation du monde.
Le prix à payer est élevé. Il s'appelle inconfort, on sort de la routine de l'événement convenu ou le brillant orateur séduit la masse, suivi de quelques ateliers pratiques. Il s'appelle adaptation de l'incertitude car avec des rôles inhabituels, la rencontre et le travail ensemble de personnes dont ce n'est pas la trajectoire de vie usuelle de prendre la parole sur un angle qu'elles ne maîtrisent pas est perturbant. Il s'appelle temps de préparation, car la qualité de l'événement dépend de la gestation de la bonne question par le groupe initial.
Ce type d'événement où chacun détient une partie de la parole et de la puissance d'agir correspond à mon vœux le plus cher en pédagogie de donner l'envie de la mer à tous, plutôt que le plan détaillé du bateau à construire selon l'idée préconçue d'une seul architecte.