La langue anglaise pénètre bien plus profondément notre mentalité que la seule compréhension d’idées et de textes. La rationalisation éducative promue à tout crin dans le système d'enseignement français produit des effets délétères. L'adoption sans tri de learning goal, de MBA et la construction d'un marché de l'enseignement supérieur dont la compétition serait basée sur la langue sape nos spécificités culturelles et les atouts dont nous disposons qui font que nous ne pensons pas exactement pareil : la "french touch" que l'on nous attribue. Nous ne souhaitons pas que nos enfants débutent dans la vie avec des dettes à rembourser pour avoir fréquenté des établissements qui sont devenus un business. Au nom de quoi devrions-nous encourager la poursuite d'une acculturation en anglais? Si je suis étranger je préfère l'original à la copie.
Voici le mécanisme qui va entrainer les familles vers un endettement croissant :
1) Les établissements d'enseignement supérieur pour entrer en compétition internationale doivent publier en anglais. Elles gagneront en réputation en ayant des professeurs publiant en anglais. Pour orienter leur politique dans ce sens elles se séparent des profils de praticiens et de pédagogues et recrutent des chercheurs. Le risque est ici l'académisme et l'orientation vers des questions de recherche théoriques sans lien avec le réel. Ce qui importe c'est de passer dans un journal américain pas de répondre à des problèmes de recherche contextualisés.
2) Un enseignant "doit" publier pour sa carrière dans les meilleurs revues, Les revues reconnues publient en anglais. Le risque de la course à la publication est la tricherie.
3) Les publications de quelques universités deviennent prestigieuses. Les plus petites revues et les questions de recherche marginales ou originales sont abandonnées, car les revues n'offrent pas assez de reconnaissance aux auteurs. Le risque est un appauvrissement des problématiques valorisées et parfois la survalorisation d'épistémologie, ou de protocole de recherche comme par exemple l'emploi systématique d'outils statistiques.
4) Les comités éditoriaux imposent des thèmes et des méthodes de recherche et tuent les courants plus fragiles ou naissants.
5) Les enseignants hors ligne sont rejetés. La standardisation et la pensée unique se mettent en place. Personne ne le voit puisque ceux qui ont accès aux médias et moyens d'expression sont les bénéficiaires de la pensée unique. Les autres, ceux qui se conforment deviennent plus connus, font monter la côte de leur université ou école de commerce et monnayent leur réputation qui font augmenter les coûts d'enseignement et les frais de scolarité.
6) La famille et l'étudiant cherchent la meilleure école, celle qui saura donner un emploi qualifié au jeune. Pour cela elle est prête à investir dans une marque éducative. L'étudiant cherche un label de référence. Les risques sont ici l'exclusion de ceux qui ne peuvent payer le prix, la paupérisation de ceux qui s'endettent et la reproduction sociale.
Il y a d'autres perspectives que d'encourager cette fuite en avant, comme investir dans des projets éducatifs pragmatiques, ancrés dans des territoires et des questions concrètes.