L’ouvrage proposé s’intéresse au management alternatif qui est en cours d’invention. Il s’agit de s’extraire de discours sur une souffrance au travail rebattus pour diriger et encadrer autrement. Mispelblom Beyer est professeur de sociologie. Il avait déjà produit en 2006 « Encadrer un métier impossible ». Il est loisible de constater dans cette recherche un nouvel opus de son oeuvre. Catherine Glée dirige le Master Ressources Humaines de l’IAE Lyon. Tous les deux se plongent dans l’aventure des récits d’expérience auprès respectivement de 8 et 11 encadrants. Ils poursuivent l’ambition de comprendre quels principes d’action, quelles analyses et quelles références propres, les personnes interviewées se construisent et comment elles théorisent à partir de leur expérience passée. D’un point de vue méthodologique, les auteurs initient une forme de « discussions-débats », dans laquelle la part et le regard du chercheur est présent. Ils cherchent à repérer des constantes vraisemblables en confrontant les auteurs des récits à la cohérence interne de leurs mises en intrigue. Ils parviennent à partir d’anecdotes, d’exemples amusants, de mise à disposition du lecteur du travail réel d’encadrement à dégager 25 stratégies alternatives qui constituent un « bréviaire de résistance et d’innovation ». Ces stratégies sont ici résumées :
- Etre irréprochable dans son propre travail et sacrifier aux rites de la communauté
- Penser ce qu’on fait prendre du temps pour réfléchir, c’est-à-dire sortir du culte de l’urgence
- Ne rien faire et parfois simplement se promener pour être disponible et écouter en profondeur
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S’abreuver à plusieurs sources d'information
- Penser la complexité et la multidimensionalité des problèmes
- Penser la division : les divergences d’orientation, les nuances, les résistances possibles
- Accorder de l’importance aux mots et aux discours et donc préparer chaque prise de parole
- Accorder de l’importance au débat, à la discussion à la dispute professionnelle
- Connaître le travail réel pour donner des directives raisonnables
- Aller sur le terrain, prendre le risque de la rencontre et donc faire preuve de courage
- Elargir ses bases au besoin en changeant de terrain, en créant de nouvelles instances ou groupes projet
- Décloisonner en associant des spécialistes d’origines différentes mais aussi des usagers
- Faire preuve de solidarité car elle plus rentable que le chacun pour soi
- Organiser la coopération, faire travailler les gens ensemble
- Proposer des projets enthousiasmants, pour développer la fierté de l’exploit
- Distinguer les statuts et les personnes qui les occupent pour sortir du syndrome du chef
- Distinguer autorité et pouvoir
- Sortir du seul assujettissement au travail, disposer de référence ailleurs
- Lutter contre les discriminations en faisant preuve de justice d’équité et d’égalitarisme
- Respecter les instances et les fonctions avec discernement pour maintenir les fonctions de l’autorité
- Connaître, respecter et utiliser le code du droit du travail, c’est-à-dire assumer la violence légitime
- Se construire des raisonnements financiers distanciés mais solides
- Jouer sur plusieurs registres à la fois et jongler avec les enjeux, les niveaux de sens, et le temps
- Accepter la fragilité en soi-même pour développer une forme d’écoute
- Faire preuve de militantisme au travail et porter les orientations au quotidien
Ce qui est au cœur de cet ouvrage c’est la quête du travail réel plus que du travail prescrit de l’encadrement. La mètis des grecques, la science des ruses, est particulièrement bien adaptée pour comprendre comment les cadres s’y prennent pour faire face à des situations singulières. Les cadres développent un « savoir conjectural », ils procèdent par une intelligence du détour. Il découle de cette lecture qu’il n’y a guère de « grand système » explicatif du management des hommes, mais plus une pensée par cas (cas de conscience, cas pratique), par récit, par analyse de situation et par retour d’expérience. L’intelligibilité que chacun bâtit de sa situation produit les principes d’une stratégie de l’action alternative à la fois collective et personnelle. Mais c’est parce que le personnel rejoint le collectif et que des constantes se font jour qu’il est possible d’affirmer que ce qui préside à l’action est une forme de bon sens et que les conduites sont orientées par un humanisme qui garde une place et un respect à chacun.
Il est bon pour notre santé de lire un ouvrage qui part d’histoires vécues et qui en arrive à la conclusion qu’il n’y a guère de principes absolus, tout au plus une référence à des valeurs dont chaque encadrant doit faire l’expérience tout au long des événements qu’ils rencontrent et le forment en retour.